IV. Un inconnu... ou deux.

400 63 17
                                    

Une silhouette encapuchonnée se déplaçait d'un pas rapide dans les rues de Keirbourg, le village du marais de l'Est. L'endroit semblait ancien, trop ancien, et sombre. Le brouillard ondulait entre les chaumières et des créatures de tout genre circulaient dans les rues tortueuses : des marchands vendant objets en tout genre qui poussaient parfois à se demander ou ils se les étaient procuré, d'autres qui usaient de leurs dons pour leur travail quotidien. Un forgeron tordait ses pièces de métal avec ses mains, son poing rigide lui servant de marteau. Une dame, assise sur une chaise sous le portique de sa boutique, cousait sans même toucher le tissu et l'aiguille qui se trouvait à un mètre d'elle, ses doigts dansant dans les airs, contrôlant à distance les objets. Il y avait bien d'autre échoppes et bien d'autres habitants du marais, tous usant de leurs si chères particularités. Cet étalage de monstruosité en aurait effrayé plus d'un mais pas le discret individus encapuchonné.

Il semblait pressé, comme s'il ne fallait pas qu'il soit vu. Mais ce qu'il avait à faire était important... et dangereux. Terriblement dangereux. Il devait rester caché ou il se ferait tuer. Oh, pas par ces créatures, quoiqu'elles auraient pu le livrer pour obtenir un brin de reconnaissance - mais pour cela, il aurait fallu qu'elles puissent le capturer, ce qui était impossible - mais par Elle. Il connaissait sa haine et sa fureur. Et il savait ce que ça lui coûterai.

Il passa devant un grand bâtiment calciné mais n'y pris pas garde. Plus personne ne le faisait. Ce lieu servait d'exemple.

Cette pensée arracha une grimace à l'individu.

Encore une fois, tout cela était de Sa faute. Il la haïssait du plus profond de son être. S'il l'avait pu, il l'aurait tué de ses propres mains et sur le champs. Mais il devait se montrer malin. Bien plus malin. Ou elle l'emporterait. Elle était une aberration, une monstruosité parmi les monstres. Elle les mènerait tous à leur perte.

Mais ce n'était pas tant un élan d'héroïsme qui le poussait à tant désirer Sa mort que sa soif de vengeance. Il désirait la voir souffrir puis périr. Pas à cause de sa cruauté - tous l'étaient ici - ni même à cause de son rang. Mais bien pour ce qu'elle lui avait fait, à lui, à sa famille. Oui, il les vengerai et reprendrai ce qui lui revenait de droit. Il se le jurait maintenant, devant tous les dieux d'Atralean et même face à ce galeux d'Alaster, le seigneur qui avait fait entrer le loup dans la bergerie.

Un ricanement lui échappa. Venait-il réellement de comparer les habitants du marais à des agneaux ? C'était pourtant la chose la plus improbable au monde. Mais qu'importe, il avait une mission.

Lorsqu'il pénétra dans une sorte de taverne, poussiéreuse et pleine à craquer d'êtres pour le moins étranges, nommée "La Harpie", il n'abaissa pas son capuchon, attirant l'attention du gérant. Il se racla la gorge d'un air sévère, tendant une main aux doigt crochus et effrayant vers lui.

<< Encore toi ? J'espère que tu ne comptes pas tout saccager comme la dernière fois !

L'inconnu lâcha un ricanement sinistre avant de s'exprimer d'une voix grave et caverneuse :

- C'est promis Sibillinus.

Le tavernier soupira, l'air peu amène et répliqua :

- Comme tu vois, c'est plein, je n'ai pas de place pour toi aujourd'hui.

- Je ne veux pas de ta misérable camelote. Je veux des infos.

- Quelles infos ?

- Sur Elle.

Le dénommé Sibillunis fronça des sourcils et reposa le verre qu'il était en train de nettoyer d'un geste expert. Puis il dévisagea son interlocuteur, l'air soupçonneux.

- Je ne sais pas à quoi tu joues petit filou, mais je suis bien plus vieux que toi et je sais que tout cela va mal se terminer. Tu ne sais pas contre quelle force tu comptes te battre.

- Cela m'importe peu. Alors ces infos ?

- Ça ne te sera pas gratuit.

- Estime le fait que je ne compte pas détruire ta chère taverne comme un moyen de paiement.

Un soupire agacé répondit à sa menace. Mais l'homme, dissimulé sous sa cape ne releva pas. Il comprenait très bien les réticences de son informateur habituel. Ce dernier gronda :

- Ne joue pas avec moi, petit.

- Je ne joue pas.

- Tu l'auras voulu : la Dame d'Atralean compte venir à Keirbourg dans quelques jours pour faire un levé des comptes. Elle ne viendra pas protégée, comme toujours. Elle se suffit à elle même et tu le sais.

L'inconnu hocha de la tête, satisfait. Voilà qui se profilait bon pour lui. De plus, il avait œuvré pour que quelqu'un le précède au palais. Si cela échouait, il profiterai de Sa visite pour mettre fin aux choses. Il savait ses plans risqués mais il avait confiance en lui. Il était puissant par sa mère et fort par son père.

Il resta accoudé au bar, occupé à réfléchir à ce qu'il comptait faire. La taverne se vidait petit à petit, en même temps que le marais s'obscurcissait. Il ne restait plus beaucoup de clients, tous étaient partis vaquer à d'autres occupations. La nuit était plus dangereuse que le jour à Atralean et pourtant les habitants y restaient actifs. Les monstres ne craignaient pas les monstres, ils ne se craignaient pas eux même.

Sibillinus, revenant à son client dissimulé sous son capuchon, se pencha alors et souffla :

- Tu vois cet homme drapé dans sa cape, un peu comme toi là-bas ?

Il hocha de la tête en repérant le fameux individus. Le tavernier se redressa et annonça, l'air totalement sérieux :

- C'est un voyageur et puissant de surcroit. Mais je ne l'avais jamais vu auparavant. Et laisse moi te dire mon garçon que je connais tous les habitants de ce marais. Il se rend au château.

- Étrange...

- N'est-ce pas ? Enfin bon, je ne pense pas que cette info te serve à grand chose. Ne va pas l'embêter. Si ça se trouve, il deviendra bon client ! >>

Le mystérieux homme haussa des épaules. Il n'avait pas que ça à faire que d'aller importuner un voyageur esseulé. Elle venait. C'est tout ce qui comptait.

Il lui ferait payer...

Oh oui, ça, il se le jurait !

Atralean II - L'enfant Des Marais Perdus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant