XXIV. Le prix de la destruction.

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Alors qu'Alouan se hissait avec difficulté sur la berge, ses mains s'enfonçant dans la terre boueuse et meuble, la miül se recula, s'assurant tout de même qu'il ne tombe pas à nouveau dans les eaux maudites. L'enfant qui finalement parvint à se glisser sur la terre ferme, se tourna vers Amaera et, l'air encore un peu effrayé, la remercia. Pour toute réponse, sa sauveuse secoua la tête et, regardant autour d'eux, affirma :

« Ce que tu fuyais ne peut plus t'attraper à présent.

Alouan se laissa tomber au sol. Poussant un soupire d'aise, il se rememora sa course folle. Peut-être le monste avait-il disparu dans quelques fourrés, cependant, il avait bel et bien été réel. Le petit garçon frotta son bras gêné avant de chuchoter :

- C'était une fée n'est-ce pas ?

- Alors tu es au courant ?

Il hocha la tête et Amaera esquissa un sourire indéchiffrable. Cependant un détail chiffonnait l'enfant. Hésitant un instant, il se décida à se confier à la Miül qui semblait attendre patiemment qu'il prenne la parole.

- Normalement le côté fée se réveille lorsque la créature met pieds à Atralean. Cependant ça n'a pas été le cas pour Ignea.

Amaera hoche affirmativement de la tête, l'air grave avant de souffler sur le ton de la confidence :

- En effet. Mais tu le sais déjà non ? Des sceaux la maintenaient prisonnière. Alaster empêchait inconsciemment sa partie maléfique de s'exprimer. Mais il est désormais mort et... Et ensuite, les choses se sont accélérées. À chaque fois que quelque chose détruisait sa part d'humanité, la fée en elle prenait le pouvoir. La découverte de ses origines à été en quelque sorte le coup de grâce.

- Pourtant elle est toujours là.

- Toi aussi. Et la dame t'aime.

Oui la dame l'aimait. C'était une vérité qu'elle n'avouerai peut-être jamais à voix haute, mais c'était une vérité tout de même. Elle l'aimait et jamais l'enfant n'avait pu en douter. Après tout, ne baissait-elle pas ses gardes lorsqu'il était là ? Ne se montrait-elle pas plus... Humaine ? Humaine ! Alouan comprit brusquement ce que cela impliquait. Un frisson glacé le parcourut alors qu'il resserra ses bras maigrelets autour de son corps chétif
Il ne comprenait que trop bien...

D'un geste emplie d'angoisse il se mit à arracher la mauvaise herbe qui s'étendait à ses pieds. Ses mains se trouvèrent bien vite sales et pleines de terre boueuse mais il n'y fit même pas attention. Il ruminait les dires de la sirène du marais, un étrange goût dans la bouche.

Que pouvait-il faire face à tout cela ? Il n'était qu'un enfant et ses dons n'avaient même pas su le prévenir du danger qui les guettait, lui, Atralean et Ignea. Il était inutile et ne savait que faire à présent qu'un tel poid pesait sur ses épaules. Si Ignea restait Ignea, c'était parce qu'il était là et qu'elle l'aimait. C'en fut trop pour lui. Une larme roula le long de ses joues rebondies d'enfant.

La larme roula avant de chuter. Une main fine et bleuté la saisit, la faisant roulé sur sa paume avant de l'emprisonner entre ses doigts. L'eau salée qui venait de couler des yeux de l'enfant se mêlait à l'eau du marécage qui constituait Amaera. Celle ci semblait presque peinée par la détresse du petit pourtant elle ne s'en formalisa pas. D'étranges grondement dans sa voie, elle murmura dans d'étranges accents, presque en fredonnant son avertissement :

- Tu as vu comme moi ce qu'il arrive. Les fées s'éveillent à l'appel de leur sœur, de leur reine. Elles sentent que leur heure approche aussi sûrement que la nuit est noire, elles se tiennent prêtes, obéissant à un instinct millénaire.

- Qu'est ce que tu veux dire par là...

- L'ère des fées est bientôt venu, Alouan le semi-noyé. Le glas approche pour tous.

Ces paroles firent écho à celle d'Haymond Faes, à celle des complotistes sans-noms... Pour eux-tous, ce glas n'était nul autre que la Dame d'Atralean. Ce discourt l'effrayait grandement et le plongeait dans un abyme noir de désespoir. Secouant vivement la tête, le petit garçon aux yeux blancs rétorqua :

- Tu dis n'importe quoi !

- Vraiment ?

Amaera pencha la tête sur le côté mi-surprise mi-affligée. Ah que cet enfant censé tout voir pouvait se montrer aveugle...Pourtant, il se devait de réaliser la vérité ou il serait trop tard pour lui. Bien trop tard... Sans laisser la sirène du desespoir dire quoique ce soit, Alouan bondit sur ses pieds et s'écria :

- Oui ! Ignea ne deviendra pas cela... Elle est différente, elle est elle, elle est...

- Une fée. l'interrompit-elle brusquement avant d'asséner : Rappelle toi ce qui est dit des fées, Alouan. Rappelle t'en vite avant qu'il ne soit trop tard...

Écoutant la Miül, c'est ce qu'il fit. Les mots du livre se glissèrent dans son esprit avec une facilité déconsertante comme si son esprit savait que ces quelques informations seraient capitales :

Creature instable, monstrueuse, instinct meurtrier.

Tout était dit là, il ne pouvait plus y avoir le moindre doute. Dès le début, Ignea était destinée à perdre la tête. Mais restait à savoir quand cela se produirait ? Puis ses propres paroles lui jaillirent à la figure, en gifle véridique :

Tu es une bombe à retardement Ignea.

Une bombe à retardement qui n'allait pas tarder à lui sauter au visage. Son regard se posa sur le faciès aquatique inquiet de la sirène du marais. Celle ci plongea son regard bleu transcandant dans celui, ivoire, de l'enfant, et elle murmura d'un ton sombre, qui ne présageait absolument rien de bon :

- Réfléchis Alouan. Que va faire la dame ?

Il écarquilla les yeux, saisissant soudain avec la cruelle impression que tout son monde s'effondrait pour la seconde fois, inévitablement. Il était un enfant, un lien, la seule chose qui forçait Ignea à garder ce côté humain qui la déchirait en deux. Son côté fée, lui, savait ce qu'il avait à faire. Il l'avait toujours su et bientôt, il pourrait s'exprimer à loisir.
Sans maîtriser les tremblements qui s'emparèrent de lui, il releva son visage brusquement, dévoilant sont expression glacée de terreur. Les mots s'échappèrent de ses lèvres sans qu'il ne puisse les maîtriser.

- Me tuer.

Le hochement de tête d'Amaera suffit à le conforter dans cette idée. Et pourtant, elle se sentir obligée d'affirmer d'un ton sans appel :

- C'est la seule chose qu'elle a à faire si elle ne veut pas être détruite. C'est le prix de la destruction. »

C'en fut trop pour Alouan qui secouait la tête, refusant de croire en cette vérité qu'on lui imposait de force. Ignea, sa chère dame, son éternelle amie fera tout pour mettre fin à ce jour.

Ni une, ni deux, il fit volte face et pris ses jambes à son cou, fuyant le plus loin possible du marais centrale.

C'était cela ou mourir.

Atralean II - L'enfant Des Marais Perdus Where stories live. Discover now