XV. Amulette protectrice.

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Le silence de la salle du trône vide était bien plus rassurant que les bruits grouillant des couloirs du palais. Les volutes de brouillards qui s'y élevaient en permanence permettaient à l'endroit de rester assez peu fréquenté et donc, assez calme lorsque la cour n'y était pas convoquée pour des raisons diverses et variées - et souvent sanglantes.

Tout ceci au grand bonheur d'Alouan qui, profitant de l'absence de toute autre créature qui le dérangerait très certainement – même s'il s'agissait du discret et mystérieux Raegan – se glissa dans l'immense pièce aux colonnades anciennes et se hissa sur le trône, croisant les jambes afin d'y être confortablement assit. Puis il ouvrit l'immense livre trouvé dans la mystérieuse cave sur ses genoux.

Ses doigts glissèrent sur la première page, caressant les lettres marquées à l'encre noire.

Légendes noires et autres mystères.

Il fronça des sourcils. C'était un livre de contes sur Atralean qui était censé lui apporter les réponses à ses questions ? Tournant la page, il eut un mouvement de recul en se retrouvant face à une représentation parfaite d'une bête aux yeux jaunes fous, à l'allure humaine et couverte de poils et de cicatrices. Une représentation parfaite d'Alaster. Premier tout puissant et seigneur d'Atralean. Cette image était si réelle, que la stupeur figea quelques instants le jeune lecteur. Même à travers le vieux parchemin, il parvenait à ressentir la peur que provoquait incontestablement le monstre qui régnait jadis sur tous.

Une calligraphie fine et détaillée racontait la création du Marécage, l'arrivée des Premiers et l'avènement d'Alaster en quelques lignes qu'Alouan survola sans grand intérêt. Cette histoire, il l'avait entendu mille fois que ça soit par les Miüls, par Ignea ou par tout autre colporteur de rumeurs. Il sauta donc le passage.

Passant de chapitres en chapitres, l'enfant eut le loisir de découvrir un peu plus sur toutes les créatures d'Atralean : Illusionistes, marchandeurs d'âmes, maîtres des ombres, enfants des flammes, passeurs d'horreur, Miüls, monstres... Pourtant aucuns mots n'étaient écris concernant la sorcière du Marécage. Comme si celle ci devait restée secrète. Pourtant il brûlait tant d'en découvrir plus sur elle et sur ses étranges dons. Cette femme avait quelque chose de particulier outre le fait qu'elle était une première.

Finalement, le livre se révéla bien plus intéressant qu'il n'y paraissait au premier abord, bien qu'Alouan ne trouvait toujours pas de liens entre ce que le marais lui avait chuchoté lors de sa vision et ce grimoire. D'autant plus qu'il avait beau tourner les pages, il ne trouvait rien sur des fées ou ce qui s'en approcherait le plus. Alors il se focalisait sur les moindres écritures avec l'espoir de trouver ne serait-ce qu'un indice, qu'une minuscule information qui lui donnerait une piste. Mais à priori, il ne s'agissait pas de son jour de chance car sa recherche se retrouva vaine.

Des bruits de pas se firent alors entendre dans la grande salle et l'enfant distingua une silhouette majestueuse se poster à côté de lui. La Dame d'Atralean se racla la gorge et interrogea d'un ton presque mielleux mais marqué de condescendance :

« Alors ? Tu trouves quelque chose d'intéressant ?

Alouan, toujours plongé dans sa lecture, secoua négativement la tête. Lui jetant un regard suspicieux, Ignea s'appuya sur l'accoudoir de son trône. Elle avait beau se forcer, elle ne voyait aucun intérêt à ce gros bouquin couvert d'une écriture raffinée et de dessins réalistes. Elle qui aimait pourtant lire, vraiment, ça ne prenait pas ! Alouan, que la présence de la dame distrayait un peu, remarqua soudain le sang qui tachait la dague qu'elle portait à la ceinture et fronça des sourcils, se détournant définitivement de son occupation.

- Qu'est ce que...

- Ça ? Oh rien, ne t'en fais pas. J'ai eu quelques soucis de... Rébellion dans les marais brûlants. Mais tout est reglé.

- Tu t'y es rendue ?

- Accompagnée de notre nouvel ami, le sieur Marekala.

L'enfant referma avec précaution le livre tout en conservant la page et leva son visage vers la Dame pour l'écouter avec plus d'attention. Les choses devenaient intéressantes. Lucius était par trop souvent évoqué pour être à présent ignoré. Laissant son sourire le plus innocent éclairer son visage aux rondeurs enfantines, il interrogea :

- Tu t'es trouvée un allié ?

- En quelque sorte.

- Il te plaît ?

La grimace de dégoût qu'elle exécuta et qui tordit un instant ses traits suffit à lui apporter une réponse. Pourtant il lâcha, dubitatif :

- Depuis ton couronnement personne n'a pu t'adresser autant de mots et s'approcher autant de toi sans qu'il ne finisse mort ou pire encore. Qu'a-t-il de plus que les autres ?

- Alouan je t'en prie, arrête de débiter de telles bêtises. Je ne lui fais pas plus confiance qu'aux autres. Mais lui donner une moindre importance est un excellent moyen de m'assurer sa loyauté. Et il vaudra tout de même toujours mieux que ces autres intrigants. Il possède à présent le marais brûlant. Que vouloir de plus ?

- Ton trône ?

- Personne n'en voudrait si il savait quel en était le prix ! ricana Ignea en empruntant cet air de celle qui savait tout et qui n'en avait rien faire, à la fois hautain et dédaigneux.

Cela piqua la curiosité d'Alouan qui pencha la tête sur le côté et demanda :

- Et quel est-il ?

- Être seigneur ou dame d'Atralean, ça n'est pas que diriger tout un monde de monstre. C'est en porter le poids, porter celui de la magie maudite du Marécage.

Ils restèrent silencieux, le petit garçon blond méditant sur les dires d'Ignea alors que le regard de celle ci se baladait dans la pièce, l'air légèrement hagard.

Les yeux de la dame se posèrent alors sur le médaillon qu'il portait autour du cou et qui avait glissé à découvert lorsqu'il avait levé la tête. Une étincelle s'embrasa dans ses prunelles. Elle le saisit entre ses doigts et admira un instant les initiales I.C. gravées sur une facette abîmée, assaillie par les souvenirs, avec l'étrange impression que son esprit se figeait dans le brouillard. Dire qu'il avait s'agit de son amulette il y a si longtemps... D'une voix si basse qu'Alouan cru un instant avoir rêvé, elle souffla :

- Tu le portes toujours ?

- Tu me l'as donné pour me protéger des esprits et des dangers qui courraient dans le marais perdu. Tu ne t'en souviens pas ?

Au contraire, Ignea ne s'en rappelait que trop bien. Elle lâcha le bijoux comme si il l'avait brûlée et recula, se décalant du trône. Elle porta sa main à sa poitrine, comme si son cœur lui était douloureux. La moue qu'elle esquissait était révélatrice de ce qu'elle ressentait. De la douleur ? Mais l'image fut si fugace que l'enfant aux yeux blancs se demanda s'il n'avait pas halluciné. Alors que l'impassible froideur regagnait les traits de la dame, il pencha la tête sur le côté et demanda de sa petite voix fluette :

- Tu veux que je te le rende ?

- Non, garde le. Mieux vaut que ça soit toi qui l'ait.

Elle s'éloigna de quelques pas. C'est là qu'Alouan remarqua la pâleur nouvelle du visage de son amie. Quelque chose l'avait... presque effrayée avec ce médaillon. Une amulette qui était pourtant censée protéger du mal. Il s'apprêta à l'interroger mais quelque chose dans le regard d'Ignea l'en dissuada. Peut-être était-ce cette lueur de folie pure qu'il cru distinguer dans ses iris ?

- Merci Ignea.

- De rien gamin. Puisse-t-il te protéger des dangers d'Atralean. »

Si le ton de la "Belle de nuit" était froid et sec, le petit garçon ne doutait pas de sa sincérité.
Alors qu'Ignea s'en allait, il reposa son regard sur le livre qu'il tenait sur ses genoux. Au point où il en était, il avait besoin de réponse. Et il ne voyait qu'une personne capable de lui en fournir.

Alouan espérait juste qu'il ne prendrait pas l'envie à la sorcière du Marécage de le transformer en crapaud.

Atralean II - L'enfant Des Marais Perdus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant