XXV. L'heure des fées.

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Elle brûlait de rage. Sans savoir pourquoi, Ignea était fébrile. Même après avoir décimé l'ensemble de groupe des complotistes avec une facilité déconcertante - les malheureux n'avaient même pas eu le temps d'implorer son pardon, elle était arrivée comme une tempête et avait tout saccagé, tuant d'un simple geste - une insatiable envie de destruction grondait en elle. C'était à peine si ses mains tremblaient. Toute obnubilée que la dame était par les sensations désagréables qui s'emparaient d'elle, elle ne remarquait même pas les fissures qui se créaient dans le mur sur son passage ou bien même, les objets qui explosaient. Autour d'elle, tout semblait se détruire.

Mais la fée ne pouvait s'en rendre compte. Car sans savoir pourquoi, elle souffrait. Une souffrance telle qu'elle n'en avait jamais connu. Elle se sentait déchirée en deux, assaille par des idées qui ne semblaient pas être les siennes et qui pourtant l'étaient. Sous ses yeux, le monde paraissait se brouiller, les choses se dédoublaient, ondulaient... Rien de tout cela n'était normal.

Et parmi ce mal être profond, résidait encore la soif de sang. Toujours plus, encore plus !

Ignea secoua la tête, reprenant peu à peu le contrôle et dû se rendre à l'évidence. Il fallait qu'elle se repose, qu'elle dorme ne serait-ce qu'un peu. Peut-être que les choses se calmeraient ensuite. Parvenant à conserver encore un peu son apparence insensible et réunissant ses derniers efforts, elle se dirigea vers sa chambre. Alors qu'elle arrivait devant l'immense porte de bois sculpté, les chiens qui veillaient tranquillement se redressèrent brusquement sur leurs pattes et se mirent à glapir de terreur. La dame d'Atralean ne fit même pas attention à eux et ils déguerpirent la queue entre les pattes, effrayé comme s'ils avaient vu le diable.

La sublime femme poussa la porte et la referma tout de suite derrière elle. Elle se sentait soudainement bien mieux, comme si cette pièce était enchantée et possédait le pouvoir d'atténuer les mauvaises choses. Poussant un soupire de soulagement, Ignea se retourna. Mais à peine eut-elle une vue d'ensemble sur toute la pièce qu'elle se figea en plein milieu de sa chambre et pâlit incroyablement. Devant elle se tenait Alaster. Toujours aussi beau sous sa forme humaine, toujours aussi... lui ! Avec le même regard autoritaire mais tendre et cette moue sarcastique sur le visage.
Illusion ! lui hurla son esprit en proie à une grande souffrance.
Une douleur lancinante déchira soudain sa tête et elle se plia en deux, comme pour encaisser le coup tandis que ses deux mains se plaquèrent sur ses oreilles. Un cri silencieux s'échappait de ses lèvres tordues. Ses griffes d'argent s'enfoncèrent dans son crâne et s'emmêlèrent à ses cheveux. Elle était sur le point de s'effondrer quand soudain tout s'arrêta. Le calme plat. Relevant les yeux elle cru recevoir un coup au cœur. Alaster avait disparu.

Titubant, Ignea s'approcha de son miroir afin de s'assurer que tout cela était bien réel. Elle ne pu cacher l'effroi qui la gagnait quand elle aperçu son reflet. C'était elle sans l'être. C'était elle sans... C'était elle. Elle et rien qu'elle.

Et pourtant, elle était changée. Le long de ses bras, ses veines devenaient noires, plus noires que l'encre, assombrissant sa peau de porcelaine. C'était comme une contagion qui se propageait à tout son corps : les mains, les bras, les épaules, la nuque, la gorge et maintenant le visage. Alors qu'elle posait enfin son regard sur ses yeux d'ordinaire verts elle eut un mouvement de recul en voyant l'émeraude se teinter peu à peu de noir, jusqu'à ce que deux puits obscures sans fond eurent remplacé les prunelles jadis d'une toute beauté. Et dans son dos, dans le dos de son reflet, se découpaient deux immenses ailes noires, entièrement constituées du fameux brouillards sombre, qui avaient, même si on peinait à le deviner, la vague forme des ailes d'un papillons.

Effarée, Ignea leva à nouveau les yeux sur son visage. Mais ce n'était point les yeux de la Dame du Marécage qu'elle fixait au travers de la glace. C'était ceux de la fée.
Prise de tremblements, Ignea ne pouvait plus bouger, comme hypnotisée par l'image que lui renvoyait la psyché. Elle secoua la tête, comme pour tenter de chasser son reflet, compulsivement. Figée, paralysée par ce mélange de haine et de folie, la Dame avait l'impression que son cœur avait cessé de battre pour laisser la place à un second qui ne réclamait qu'une chose : du sang.

Atralean II - L'enfant Des Marais Perdus Où les histoires vivent. Découvrez maintenant