XVII. Mauvaise fille de bonne famille.

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Discret comme un courant d'air, Alouan poussa une discrète porte en bois qui donnait dans un petit salon dont l'atmosphère chaleureuse détonnait avec celle lugubre du palais d'Atralean. Des tapisseries rouges et vertes recouvraient les murs et le sol en pierre de la petite salle, quelques fauteuils étaient disposés et une immense cheminée éclairait le tout. L'espace d'un instant, l'enfant oublia qu'il se trouvait dans les marais. Son regard se posait sur Ignea qui faisait les cent pas, sa si légère robe de chambre blanche couverte d'un manteau de velours vert qui mettaient en valeur ses yeux. Elle semblait agitée et très peu sereine. Avisant sa silhouette fine à travers le tissue transparant de la robe de chambre, Alouan se demanda alors si même sous son apparence maudite elle avait été un jour aussi maigre. Cela l'inquiétait un peu. Il ne comprenait pas ce qui arrivait à sa si chère dame. Lorsqu'elle le remarqua, la Dame des marais cessa ses mouvements et releva le menton. Elle semblait soudain en pleine forme, déterminée, même si Alouan ne savait pas à quoi. Au moins cela le rassurait-il un peu.

« Tu désires quelque chose gamin ?

Il clopina jusqu'elle tandis qu'elle se servait un verre de vin, l'observant à la dérobée, comme pour le surveiller. Le petit garçon, gardant tout de même ses distances, s'assit sur le bord de la table et pencha son petit visage innocent sur le côté avant de chuchoter :

- Tu me racontes une histoire ?

Ignea fronça des sourcils et Alouan rentra un peu plus la tête dans les épaules, conscient que cette demande n'allait pas être accueillie avec énormément d'enthousiasme.

- Tu connais déjà toutes celles d'Atralean. Je te l'ai déjà dit.

- Je ne parle pas de ce genre d'histoire là. J'en veux une sur ta vie humaine.

- Que veux-tu donc que je raconte ? grogna-t-elle de mauvaise foi, avant de poursuivre : Tu sais déjà tout de George et de Thomas de Castelnera. Il n'y a rien d'autre à dire.

Le petit garçon secoua la tête avec énergie et plongea ses yeux d'un blanc déstabilisant dans ceux de la Dame. Elle soutint son regard mais il voyait déjà que son esprit était habité de souvenirs. De sa voix la plus douce, il souffla :

- Alors raconte moi l'Avant. Quand tu n'étais pas encore la dame de Castelnera.

- Ma vie d'avant ? Il n'y a rien à dire.

- Tu avais des sœurs.

Ignea frémit mais accepta de répondre :

- J'en avais quatre : Lucianna, Eleonore, Ophélia et Beatrice. Je suis l'aînée.

- Comment étaient-elles ?

Elle se détourna et massa ses tempes tout en fouillant sa mémoire. Ses sœurs ? Elles étaient... Parfaites.

- Belles. Sages. Brunes. De bonnes filles de bonne famille.

- Tout ton contraire pas vrai ? avança prudemment Alouan, ne quittant pas des yeux le dos de la sublime femme.

Un secouement agita ses épaules. D'abbord inquiet, il perçu le ricanement mauvais de son amie qui d'ailleurs lâcha avec dédain :

- C'est à dire que tu ne me trouves pas belle, pas sage et pas brune ?

- Ce n'était pas ce que je voulais dire. Tu as toujours été la plus belle et... oui, tu étais sage. Peut-être trop. Quant à brune ? Tu as les cheveux plus noirs que le charbon. Mais ce que je veux dire c'est que... Tu n'es pas une bonne fille de bonne famille. C'est ce que ton ton laissait entendre.

- J'ai essayé de l'être pourtant. J'ai tout accepté pour faire honneur à ma famille native puis à mon mari. J'ai tout brimé. Chacun de mes pouvoirs, mes désirs, mes pulsions... Et j'en ai payé le prix en me retrouvant... torturée pour sorcellerie puis brûlée au bûcher. Destinée à souffrir pour une chose que je n'avais pas choisie.

Atralean II - L'enfant Des Marais Perdus Where stories live. Discover now