Epilogue. Pour toujours et à jamais.

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Les étoiles étaient visibles sur la voûte sombre de la nuit qui surplombait le marécage. Elles flambaient lentement, par centaine, par millier, dans le ciel, dessinant les constellations d'une plume enchantée que maniait la lune. C'était un fait si rare qu'Ignea ne pu s'empêcher de presser les paupières un fugace instant comme pour retenir des larmes qui n'existaient plus depuis longtemps. Au dessus d'elle, un millier de points scintillants dans l'obscurité semblaient accompagner ses gestes alors qu'elle observait le marais d'Atralean tout entier du haut des toits du palais.

Ce lieu qui était jadis son refuge dans la tempête, devenait le point de départ d'une fin. Le vide dansait à ses pieds, vertigineux, et pourtant la dame ne le craignait pas. Il serait sa libération. Le vent, léger, agitait ses longs cheveux dans les airs. Les mèches noires étaient libres de leurs mouvements et s'envolaient, évoquant le souvenir de l'ancienne chevelure de fumée qu'elle possédait quand elle n'était alors que la Dame du marécage. Pour une fois, elle n'était pas assise sur la bordure du toit à balancer ses jambes, mais bien debout, au bord d'une corniche, comme un python de roche fendant la mer.
Ignea ferma les yeux, profitant de la caresse de la brise, humant le parfum humide du marais. Elle jurerait pouvoir sentir la chaleur de ces astres si lointains qu'ils peinaient à éclairer la nuit.

Sur son perchoir, entre terre et ciel, elle côtoyait le vent et le vide. Elle ne s'était jamais sentit aussi libre. Jadis elle aurait voulu être un oiseau pour étendre ses ailes et s'envoler. Aujourd'hui, Ignea était reine. Et elle mettrait fin à la folie qui s'était abattue sur tous. Le néant que côtoyait ses pieds l'y aidera. Les étoiles seront ses seules témoins.

Ignea sentit soudain une présence familière derrière elle, quelque chose qui frôla le tissus de sa cape, effleura tendrement ses cheveux et déposa sur sa nuque un baiser. Évanescent. Presque inexistant. Elle ne se retourna pas même si elle reconnu le parfum qui emplissait l'air, laissant l'apparition la cajoler et enlacer sa taille de bras inexistants, toujours sans un bruit, rejoignant les étoiles pour devenir un témoin silencieux. Avec lui près d'elle, elle se sentit prête.

Elle prit alors une grande inspiration et fit un pas, s'approchant un peu plus de vide. Diable, heureusement que la "Belle de Nuit" n'avait pas le vertige. Toute à cette idée saugrenue qui lui arracha un rictus amer, elle glissa sa main jusqu'à sa taille, là où se trouvait une petite bourse de velours qu'elle caressa du bout des doigts. Avant de la décrocher et de tirer sur le cordon qui la nouait. Sans un mot ni un regard pour son spectateur de l'ombre, elle renversa le contenu de la bourse dans le vide. Des cendres s'envolèrent alors dans les airs, portées par le vent, sous l'œil amusé de la nuit.

Du bout des lèvres, la fée murmura :

« Adieu Lucius. »

Elle était la seule responsable de la disparition de son père et ami. Mais elle devait passer au dessus de tout cela, retrouver un semblant de paix. Elle en avait le droit, elle le méritait. Puisque désormais, les choses changeaient. En laissant s'envoler les cendres du seigneur Marekala, elle laissait partir le mauvais souvenir de ces derniers jours de folie et peut-être même de ces derniers siècles de terreur.

Comme si les sceaux avaient cédé un à un, les malédictions d'Atralean se dissipaient peu à peu. Les habitants du marécage semblaient moins dévorés par la haine. Certes, ils restaient des monstres sanguinaires et violents - une chose qui ne changera jamais - , mais l'atmosphère était bien moins lourde que jadis et les débordements étaient dorénavant maîtrisés. Ignea avait su changer cela. Et elle ne s'arrêterait pas en si bon chemin. Après tout, elle avait le pouvoir. Tout le pouvoir. Cette fois-ci, elle en userait correctement.

Faisant volte face, elle retint un rictus en n'étant accueillie que par une absence totale de présence. Où était donc passé l'esprit de son bel amant ?
Secouant la tête, elle rajusta sa cape d'argent sur ses épaules et effleura du bout des doigts sa couronnes de ronces et d'épines, qui à elle seule, maintenait sa chevelure folle. Jamais elle n'avait été aussi belle, ainsi vêtue d'un pantalon en cuir, d'un haut corseté noir et d'une cape argenté, aussi majestueuse dans son rôle de reine.

La Dame entreprit de rejoindre sa cour. Alors qu'elle redescendait les escaliers, elle tomba sur Alouan. L'enfant leva sur elle ses yeux d'un blanc immaculé, heureux de croiser la sublime femme. Sans lui laisser le temps de réagir il enserra sa taille dans ses bras en un câlin enfantin. Pour la première fois de sa vie la Dame d'Atralean se laissa aller à un peu de tendresse en lui rendant son étreinte, caressant les courts cheveux blonds. Elle ferma un instant les yeux, apaisée par ce geste.
L'enfant était tant ému qu'il n'eut que faire quand elle se détacha, déjà bien trop heureux.
Sans la laisser dire un seul mot, le petit garçon prononça les paroles qui le taraudaient depuis si longtemps, lorsqu'il se demandait ce qu'il se passerait si les choses venaient à s'arranger en bien :

« Et maintenant ?

Un rictus étirant ses fines lèvres, Ignea secoua la tête et repoussa une de ses mèches sombres. Elle sentit dans son dos le retour de la présence de son ancien amant, comme si celui ci se penchait par dessus son épaule pour murmurer à son oreille des mots qu'elle n'entendit pas mais qu'elle comprit pourtant. Plongeant son regard émeraude dans celui d'ivoire, elle répondit, sans hésiter :

- Maintenant gamin, on dirige. Atralean nous appartient. Et pas l'inverse. Pour toujours et à jamais.

Alouan hocha alors la tête, les yeux scintillant par un sentiment très proche de la joie, et répéta avec ferveur :

- Pour toujours et à jamais. »

Il restait encore beaucoup à faire. Mais Ignea était immortelle. Qu'importe le temps que cela lui prendrait, elle ferait d'Atralean un meilleur enfer.

Pour toujours et à jamais...

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Atralean II - L'enfant Des Marais Perdus Where stories live. Discover now