4 - How psycho takes a shower

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Je fais couler l'eau de ma douche. J'attends qu'elle chauffe puis retire mes vêtements, et les plie soigneusement avant de les déposer sur le couvercle de la cuvette des toilettes. Je rentre dans ma douche et laisse l'eau inonder mes cheveux brun clair, jusqu'à ce qu'ils passent au brun foncé. Je me mors la lèvre. Je shampouine mes cheveux et les rince, une fois, deux fois, avant de les rincer définitivement. Je me gratte la peau des cuisses, jusqu'à ce que des morceaux de peaux tombent, et qu'elles soient couvertes de traces de griffes. Je m'arrête.

Non. Il ne faut pas que je fasse ça. Il faut que je me contrôle.

Mais dès que je m'arrête... Ça me gratte... Et ce picotement ne part pas avant que j'ai enlevé cette partie de peau...

Non Miri. Les gens savent vivre sans s'arracher les tissus corporels. Tu peux faire la même chose. Concentre-toi. C'est ce que tu veux, n'est-ce pas ?...

Pense au soulagement que cela t'apporte.

Et toi, pense au mal que ça me fait !

Une fois de plus, une fois de moins... Tu arrêteras la prochaine fois...

Non... Aujourd'hui est le demain de la veille. J'aurais dû arrêter plus tôt.

Miri, tu ne comprends pas... Tu es atteinte mentalement. Tu ne peux pas t'arrêter. Cesse de lutter. Je fais partie de toi, moi aussi. Cette partie de toi qui veut que tu t'arraches la peau, c'est toi. Donc c'est toi qui veut le faire, n'est-ce pas ?

Je...

Ne réfléchis pas Miri. Ça te stresse sinon, n'est-ce pas ?... Cette peau grisâtre que tu enlèves avec tes ongles, c'est de la peau morte. Les autres l'enlèvent avec un gommage. Tu n'en as pas sous la main, hein ?... Alors enlève-la maintenant. C'est mauvais pour toi de la garder.

V... Vraiment ?...

Oui.

Une fois de plus, je cède. Puis je m'arrête. Combien de temps s'est-il passé ?... Cinq minutes ?... Ça fait cinq minutes que j'enlève la pauvre peau de mes cuisses ?... J'ai d'énormes marques rouge vif sur les jambes. C'est... Moi qui ait fait ça ?...

Une larme coule sur ma joue. Pourquoi cette merde m'arrive à moi ?... On ne naît pas dermatillomane. On le devient. Mais putain ?! Putain, pourquoi c'est moi qui le suis devenue ?! Pourquoi suis-je folle ?!

J'attrape le gel douche sur le bord de ma baignoire et savonne précautionneusement mes jambes toutes meurtries. J'ai ici des cicatrices qui sont là depuis au moins un mois, et je ne sais pas si elles partiront un jour... On pourrait croire que ce sont des griffures de chat mais... Disons simplement que je n'ai pas de chat.

Je m'assois dans ma baignoire, l'eau sortant du pommeau de douche au-dessus de ma tête et me réchauffant en m'enveloppant de sa douceur et de son pardon. Le bruit de l'eau me relaxe, et je cesse peu à peu de penser à mes problèmes.

Sérieusement ? Vous y avez cru ?

Les dermatillomanes ont pour la plupart un point commun : ils sont perfectionnistes. Je ne sais pas si je suis vraiment perfectionniste, car une chambre en bordel ne me dérange pas. Mais j'accorde une grande importance aux petits détails insignifiants.

Vous voyez dans les films, il y a pas mal de scènes où plusieurs personnages mangent au restaurant, ou dans un café. Mais comme la plupart du temps, on filme le visage de la personne qui parle, il y a pas mal de coupures.

Et comme les acteurs mangent en jouant, il y a pas mal de faux raccords car l'assiette peut être vide, puis complètement pleine, puis juste un peu entamée.

Et bien je suis le genre de personne à être stressée par cela, et à remarquer ces faux raccords. Alors, je suis d'accord avec vous, c'est stupide de tellement se préoccuper de choses aussi futiles.

D'ailleurs, ça n'a aucun rapport avec ma maladie.

Détrompez-vous.

Vous voyez maintenant à quel point je suis perfectionniste. Alors imaginez-vous mon état quand j'effleure machinalement mes pauvres doigts, et que je tombe par hasard sur une petite peau qui tente de se décoller.

Cette imperfection m'insupporte. Je ne peux que la retirer.

Mais la dermatillomanie va plus loin. Oui... Parfois, on n'a pas conscience de le faire.

La douleur, le geste, le mouvement. Rien ne nous met en alerte. Nous pouvons être en train de parler à quelqu'un, être très concentré par la discussion, et ne pas se rendre compte qu'on s'arrache une peau du doigt.

Vous vous dites que cette douleur acide que vous éprouvez quand vous retirez par malheur une peau de vos doigts, je dois bien la ressentir.

Non.

Je suis habituée à cela. Cette torture est mon quotidien. J'ai ressenti cette douleur tellement de fois que maintenant j'y suis insensible.
Enfin sur le coup.

Au bout d'un moment, je me rends compte de ce que je fais. Et là, naît la culpabilité.

« Je l'ai encore fait. »

Alors on s'en veut, et on se renfonce dans notre mal-être interne.

Je me lève, coupe l'eau et m'enroule dans une serviette. Le miroir est plein de buée. Je l'essuie du bout des doigts, et regarde mon reflet.

Les « gratteurs compulsifs » ont souvent une acné légère à modérée, qu'ils pensent bien plus graves qu'elle ne l'est.
Je ne suis pas une exception.

Les quelques moqueries que j'ai eu sur mes boutons se sont vite arrêtées quand les gens ont compris que cela ne me faisait rien, et que j'avais bien plus de répartie qu'eux.

Et c'est vrai. Les moqueries ne me font rien. Je m'en fous. D'ailleurs, je ne me trouve pas moche. J'accepte mon acné.

Mais je n'arrive pas à m'empêcher de me torturer. Ça m'est tout simplement impossible.

Une petite croûte rouge est apparue, là où hier j'ai percé un bouton. Alors je la retire. Ça saigne un peu. J'éponge avec la pulpe de mon doigt, pour retirer le sang. Puis je me perce d'autres boutons. Des boutons avec un petit bout blanc, et même d'autres qui ne sont pas infectés. Des boutons « sains » disons.

Puis une fois que j'ai éclaté tous mes boutons, mon visage est rouge, blessé, sanguinolent.

Vous pensez que c'est terminé ?

Haha, petits joueurs.

Près de mon nez, j'ai des pores apparents, et quelques points noirs. Je perce tous les pores, jusqu'à ce que du pue sorte de chacun d'entre eux.

Puis je m'écarte, et regarde mon visage dans le miroir. Il est strié de marques d'ongles, rouge à cause des multiples lésions que je me suis infligé, et saigne par petites touches.

Mais qu'est-ce que j'ai encore fait ?...

Je jette un coup d'œil à ma montre. Trente minutes. Une demi-heure. J'ai passé une demi-heure à me charcuter le visage.

Mais ça, je le fais tous les jours.

Je suis un monstre ?...

C'est vrai.

Mes sourcils se baissent. Le miroir me renvoie l'image d'une fille triste, le visage balafré et le regard vide. C'est moi. Miri Aaron, quinze ans. Atteinte d'une pathologie mentale.

C'est ça, que je suis devenue.

Psycho needs helpWhere stories live. Discover now