14 - Psycho's home, "sweet home"

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      Je rentre à la maison, et pose mon sac dans l'entrée, ainsi que mes chaussures.

« Tu rentres tard !

- Je suis allée au parc.

Ma mère me taquine :

- Tu es sûre que tu n'étais pas avec un garçon ?...

À vrai dire, j'étais avec un garçon, mais au parc. Mais ce ne sont pas le genre de choses que je dis à mes parents. Ce sujet est un sujet que je n'aborde jamais avec eux. Premièrement, car je ne tombe pas amoureuse. Et deuxièmement, parce que leurs remarques, ça me fait plus chier qu'autre chose.

- Hum, vu que j'étais là, je pense que je suis sûre que je n'étais pas avec un garçon...

- Ça va, je rigole !...

Elle rit, et je fais semblant de rire aussi. Dans ma famille, il y a mes deux frères, Hoani et Teiki. Les garçons que l'on vend comme « parfaits », « adorables », « intelligents », alors qu'ils sont loin de l'être.

Teiki, du haut de ses dix ans, est complètement addict aux jeux vidéos. Il me fait un peu peur parfois. Il n'a pas d'autre sujet de conversation que ses combats à Clash Royale, ou que le prochain festival Splatoon. Il passe absolument tout son temps sur sa tablette et sur la console. Il est retardé. Ce n'est pas une insulte ou quoi. Non, c'est la vérité. Il n'est pas capable d'utiliser des ciseaux, ou de faire du vélo. Mais il a deux ans d'avance en maths et en français. Certains médecins ont dit qu'il était dyspraxique, d'autres l'ont nié. Alors je n'en sais rien.

Honnêtement, je plains mes parents pour avoir deux enfants qui ont des problèmes mentaux.

Hoani lui, disons que c'est le « normal » de ma famille. Il joue à la tablette aussi, mais beaucoup moins que Teiki. Il est bon à l'école, mais moins que sa grande sœur et son petit frère. Il évolue un peu dans mon ombre. Comment dire... En ce moment, il fait des remarques sarcastiques à son petit frère, et ma mère le gronde en lui disant « tu ne vas pas faire comme ta sœur ! ». Quoi qu'il fasse, on le compare à moi. Il doit se sentir vraiment oppressé...

Et puis il y a moi. Comment mes parents me dépeignent ? « Une insomniaque accro à son téléphone qui est insolente, bordélique, se lève tard, répond à ses parents. ». Mais jamais un mot sur mes notes excellentes, le courage dont je fais preuve pour effacer mes sentiments, la force que j'ai acquise au fil du temps pour me foutre de l'avis des gens. Ou même sur ma dermatillomanie, pour la simple et bonne raison qu'ils ne me croient pas.

Comment ça ?

Ils pensent que je peux m'arrêter quand je le souhaite. Que je peux remplacer ce tic par une balle anti stress. Que c'est du cinéma. Que ce n'est pas grave. Que c'est dû à mon manque de sommeil. Que je peux surmonter ça seule. Mais non. Désolée de vous décevoir, mais même si j'ai l'air d'être insensible, imperméable et impassible, j'ai des problèmes dans ma tête. Des problèmes qui m'inquiètent, qui me rongent de l'intérieur, qui noircissent mon cœur.

En fait, ils font l'autruche. Ils font comme si j'allais très bien. Pour se convaincre que c'est le cas. Mais j'aimerais bien qu'ils ouvrent les yeux et qu'ils se rendent compte de l'enfer que je vis.

Que quelqu'un remarque que non, tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes.

Une petite partie de moi a envie de voir un psychologue. Une petite partie de moi sait que c'est sûrement la seule solution pour aller mieux. Mais mon honneur ne veut pas le leur demander. Et mon cœur ne veut pas avoir à subir leur regard quand ils se rendront finalement compte que leur fille est folle. Que leur fille forte et courageuse est misérable. Qu'elle a besoin d'aide. Je ne veux pas l'admettre.

Mes parents préfèrent ignorer les problèmes pour prétendre que leur vie est parfaite. Ils disent que moi je suis accro à mon téléphone, alors que c'est bien évidemment faux, je passe autant de temps qu'une adolescente moyenne sur ce petit bijou de technologie. Mais disent que Teiki n'est pas accro. Car c'est là un de ses vrais problèmes. Alors j'aimerais secouer mes parents et leur dire que non, la réalité c'est que deux de vos enfants sont atteints de folie, et que bien qu'ils soient intelligents, les deux ne sont pas incompatibles.

- On mange quoi, ce soir ?

- Je n'en sais rien.

- D'accord... »

Je prends donc mon sac et monte les escaliers pour aller faire mes devoirs. La dermatillomanie peut être causée par un manque d'affection et d'attention. Des fois, je me dis que c'est peut-être car je suis rejetée au sein de ma propre famille. Je me fais gronder et punir à chaque fois que je fais un petit truc, mais mes frères, particulièrement le petit dernier, sont chouchoutés. Ce n'est pas juste une impression, comme tous les frères et sœurs ont. « Nia nia nia tu l'aimes plus que moi... » Non. Moi, mon oncle et ma tante m'ont dit qu'en effet, mes parents laissaient tout passer à Teiki en me laissant dans la noirceur de ma vie. Comme seule sur une barque en bois dans un océan tourmenté.

Je m'allonge dans mon lit, sans même regarder les tâches dans mon agenda. Je sors mon téléphone. Pour chatter avec des amis ? Non. Pour traîner sur les réseaux sociaux ? Non plus. Pour, une fois de plus, faire des recherches sur la dermatillomanie. En apprendre encore plus. Voir comment je peux sortir de ce pétrin. Il y a certaines pages web que j'ai déjà lu des dizaines de fois. Mais je ne peux pas m'en empêcher. Il faut que je sache comment m'en sortir. Il faut que je sorte des griffes de cette maladie infâme. Coûte que coûte.

Puis, ma main touche un bouton supplémentaire. Encore... Je le pousse et le gratte pour le percer d'une seule main, mais il n'explose pas. J'éteins et pose mon téléphone sur mon lit et me dirige vers mon miroir.

Hi sweetheart. Long time no see.
(Salut mon petit cœur. Ça fait longtemps qu'on ne s'était pas vus.)

Je regarde le bouton en question, et perce grâce à mes longs ongles. Puis celui d'à côté, qui n'était pas infecté ou blanc. Puis une petite bosse sur ma peau qui n'est peut-être même pas un bouton.
Arrête.
Non, Miri. Crève ces boutons.
Arrête, je t'en prie.
Okay, un dernier et on arrête.
D'accord.
Mais attends... T'as vu celui-là ?... On ne peut pas le laisser comme ça... Perce-le aussi !...
Hum. Mais c'est le dernier.
Oui oui. Argh ! Et celui-là !
Mais on l'a déjà percé tout à l'heure...
Et s'il repoussait ?...
Il ne va pas repousser...
On ne sait jamais. Tout peut arriver.
Hum...
Oh ! Tu as pleins de points noirs...
Ils viennent juste d'être là... Il faut être à cinq millimètres de mon visage pour les voir...
Regarde...

Mon visage se tourne et mon regard se pose sur un instrument de torture encore pire que mes ongles, car plus efficace. Une épingle.

Non, non.
Prends-la.
Non !
Prends-la Miri !
Pourquoi ?
Tu dois.
Mais ça fait mal...
C'est ça. Moi ce sont tes points noirs dégueulasses qui me font mal aux yeux...
Arrête.
Tu te balades vraiment avec ça sur la gueule ?...
Et alors ?!
En plus, c'est satisfaisant d'enlever ces impuretés de ton corps, non ?...
...
Tu vois ? Alors fais-le !

Alors je m'exécute. Je suis en colère contre moi-même de le faire, mais je n'arrive pas à m'arrêter. Je m'en veux de toujours écouter cette putain de maladie qui ne me veut que du mal !... Putain !...

« À table !

Il est quelle heure, bordel ?! Vingt heures ? Je suis rentrée vers dix-huit heures !!

- J'arrive ! Je vais juste aux toilettes ! »

Je me précipite dans la salle de bain et m'assois sur la cuvette fermée. J'attends une dizaine de minutes assises comme ça, le temps que les marques d'ongles et d'épingles disparaissent, que le sang sèche et que les rougeurs s'estompent.

Putain...

Psycho needs helpWhere stories live. Discover now