JOUR 0 - Souvenirs d'enfance

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  • Didedikasikan kepada Joumana Zeghaib
                                    

Sur la table, il y a un album photo ouvert sur une page quelconque. Des images en vrac s'exposent sans pudeur, racontant l'histoire d'une enfance puis celle d'une adolescence. Ce sont des brindilles du temps qui s'effritent rapidement, recouvertes d'une poussière sordide, celle d'un malheureux hasard, attirant contre elles le souvenir plus récent de l'horreur, du sang, de la mort qui rôde encore dans le silence de la pièce.

Les pleurs ne suffiront plus pour effacer la faute, quels que soient les responsables de cette tragédie. Le tragique, c'est l'humain et ses croyances. La bataille des dieux qui ne cessent de déchirer le monde à coup de machette, d'épée, à force de bombes et de feu, aspergé de poison et d'acide. L'humain, c'est aussi la haine, corrodée de la soif du pouvoir, à travers la destruction de sa source même.

Regardez les cadavres dehors et voyez-y le sort de l'homme sur cette toute petite planète qui tourne sans fin dans un vide plus attirant que le chaos qui règne dans les rues de chacune des capitales.

Le regard se pose sur une première image. C'est un joli petit bonhomme, un poupon né quelques heures plus tôt qui tient ses poings fermés près de la tête enveloppée d'une tuque turquoise. Ses yeux clos ne savent pas grand-chose de ce monde humain sordide qui l'entoure. Il découvrira bientôt son père, sa mère et sa sœur à peine plus âgée que lui.

Sur une autre photographie, les traits incertains de l'accouchement se sont effacés. Le fils, que l'on nommera Marc-Alain, a les yeux ouverts et observe avec attention cette étrange dame qui le porte avec autant d'amour que sa mère. C'est tante Manon, qui vient d'arriver de Paris, habillé du chic de son statut social, le collier de perles au cou qu'a attrapé le petiot, premier signe de son destin encore brouillon, le poing fermé sur le précieux bijou. Elle est béate devant son neveu. Elle l'aime comme elle l'aimera jusqu'au bout de sa vie. Derrière, oncle Carl se fait plus sérieux, comme dérangé par cette incursion nouvelle dans leur quotidien. Peut-être est-il jaloux ou déçu que sa douce ne lui ait pas encore donné ce plaisir.

Sur une autre page, Marc-Alain exhibe une voiture miniature, tout souriant de sa bouche édentée. Il a quatre ans. Personne ne sait qu'il a pris cette voiture chez son cousin Zacharie, lors d'une soirée du Jour de l'an. L'enfant adore les voiturettes en métal qu'il collectionne comme un milliardaire cumule les Rolls Royce et les BMW. Il en a tant qu'on en perd le compte. Zacharie ne s'en est jamais douté parce qu'il a toujours le nez dans ses jeux vidéo, sa console Play Station étant sa Mecque à lui.

Une photo glisse de l'album et choit sur le sol. Premier baiser. Marc-Alain vient d'avoir treize ans. La fille, sur l'image, c'est Catherine, la cadette d'une famille de quatre enfants habitant au coin de la rue, tout près de la résidence familiale des Vaillancourt, à Repentigny.

Sur la photo, on remarque le sourire inquiet de Paul-André, le père de Marc-Alain, qui a sans doute appris que son fils a commis quelques menus larcins au dépanneur du coin. Ses bras croisés démontrent un vague désaccord face à cet excès de bonne humeur des deux adolescents et du geste qu'ils osent poser devant lui sans gêne.

Ce n'est pas le cas de Martine, la mère du fêté, qui tient le gâteau a bout de bras, la bouche ouverte comme une choriste, entonnant le « Bonne fête » traditionnel. Assise dans le fauteuil, en retrait, il y a Chantale, l'aînée, le nez dans un roman, loin de toute cette mascarade. Elle a hérité son caractère de son père et d'ailleurs, les deux se complètent à merveille alors que Martine et Marc-Alain s'entendent comme larrons en foire.

À cette époque, le garçon au visage boutonneux est pourtant le petit génie de l'école. Fort en mathématique et passionné de science, il est promis à une brillante carrière. Il bat tout le monde aux échecs sans trop savoir pourquoi. Il parle le français, sa langue maternelle, l'anglais et l'espagnol. Il s'intéresse à l'allemand qu'il trouve racé, guttural et sec. Il imite Adolf Hitler à la façon de Chaplin, ce qui fait rire toute la colonie de jaloux qui hésitent entre détester ce fin connaissant et aimer ce boutentrain sans gêne qui semble se moquer éperdument de ses talents.

Le déclencheurTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang