JOUR 2 - Quelque chose de difficile à avaler

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Rioux jure entre ses dents et pousse Marc-Alain dans le dos car il se doute de ce qui vient de se passer. Ils arrivent tous les deux sur le palier et Roxanne est en pleurs.

 « Je vous déteste tous les deux. Encore plus que lui. Vous êtes tous des monstres. Je ne peux pas avoir une vie normale, moi? Quand ce ne sont pas les motards, ce sont les terroristes. J'en ai plein mon cul de vos histoires! »

Rioux l'approche de sa fille mais elle recule. « Roxie, ce n'est pas ce que tu crois. Tu viens de tout foutre en l'air. Tu veux qu'il y ait d'autres morts, d'autres bombes? C'est en plein ça que tu es en train de faire, crisse! »

Elle se bouche les oreilles et se précipite à l'étage en hurlant encore une fois qu'elle les déteste.

Lavergne regarde les deux gars et laisse tomber ses bras de chaque côté de son corps.

« Elle vient de mettre le feu aux poudres, ta fille, Rioux. On va être dans le trouble, mon ami, et pas à peu près! Toi, le magicien, il faut que tu décrisses au plus vite. Tu avales le bidule et tu décampes en direction de l'Oratoire avant que tes amis terroristes ne se mettent à capoter. »

Malvé veut protester mais il sait très bien qu'il ne peut plus retourner en arrière. Il prend le dispositif et l'approche de sa bouche mais Lavergne l'arrête :

« Tu ne vas l'avaler comme ça, l'épais. On redescend en bas et je le place dans une enveloppe de plastique scellée sous vide. Apporte deux bouteilles d'eau. Ça va mieux passer. Toi, Rioux, tu amènes la voiture devant. »

Il lui lance le trousseau de clé et tire Malvé par la manche : « Grouille! »

Ils déboulent les marches quatre marches à la fois et Lavergne appuie sur l'interrupteur de l'appareil à sceller sous vide. Il place le bloc de composantes dans un petit sachet à la texture gélatineuse et tapote le couvercle de l'appareil en attendant que le témoin tourne au vert.

« Ne pose pas question, petit. Oui, j'ai déjà fait ingurgiter des tas de trucs à des gens qui cherchaient à faire des tours de passe-passe, mais pas comme celui-là. »

Il place le sachet à une des extrémités et appuie sur le bouton qui fait démarrer le processus. Le tout ne dure qu'une seconde.

Marc-Alain déglutit. Il sent qu'il va mourir en tentant d'avaler ce sac. Il ne désire qu'une chose, s'enfuir et disparaître à tout jamais de la surface de la terre. Mais, il reste figé sur place en voyant Lavergne enrober l'objet d'une substance gélatineuse qui ressemble à de l'aloès puis le lui tend.

« Bon appétit! »

Malvé entend la porte claquer en haut. Rioux est revenu et il les appelle : « Qu'est-ce que vous faites? Dépêchez-vous, bon sang! La police ne va pas s'arrêter pour acheter des beignets, les gars! »

Le jeune homme ferme les yeux et enfourne le sachet qui lui semble énorme. Il a un haut le cœur mais il l'avale en priant en silence qu'il ne reste pas bloqué dans son larynx. Il enfile une lampée d'eau froide qui l'enveloppe de glace mais qui le soulage.

« Allez, tu décrisses, fiston. Et bonne chance. La cavalerie va te suivre de près, ne t'inquiète pas. On va s'arranger avec la police. Roxanne a probablement devancé de quelques minutes notre stratégie. »

Marc-Alain voudrait le remercier mais Lavergne le pousse en dehors de son laboratoire clandestin et referme le panneau. Le magicien monte les marches et attrape au passage ses affaires que lui tend Rioux. Ce dernier lui fait une accolade en essayant de cacher les larmes dans ses yeux.

« Va-t-en, p'tit con. Tu es un vrai fouilleur de merde mais je t'aime bien. »

Marc-Alain s'enfonce dans la voiture et ne se retourne pas en embrayant. La voiture dérape un peu sur la chaussée glacée mais il reprend confiance en voyant que les phares de la voiture sont les seuls qui balaient la route cahoteuse.

Il rote et le goût amer qui lui remonte dans la gorge n'augure rien de bon. Il a envie de vomir. Il sent la forme de l'appareil au niveau de son plexus solaire, comme s'il allait exploser et le laisser sans vie dans un ravin au bout de la courbe.

Bientôt, il amorce le dernier tournant et se retrouve en terrain plus civilisé. Les lampadaires éclairent maintenant la rue asphaltée et il arrive au bout du Chemin du Lac Blondin.

Il regarde à gauche et à droite puis à nouveau à gauche. Il voit des éclairs bleus et rouges qui annoncent l'arrivée des policiers de ce côté de la route. Il tourne donc à droite, sur la Montée St-Thérèse en direction sud en se demandant où ce chemin le mènera et surtout s'il rencontrera des policiers de ce côté-ci aussi.

Il roule quelques kilomètres et la noirceur se fait plus dense. Il se sent plus en confiance et la douleur entre ses côtes s'estompe un peu. Il peut goûter encore la saveur âcre de la gélatine et de sa bile, un mélange qui n'est pas des plus agréables.

Peu après avoir croisé le golf de St-Jérôme, il remarque les gyrophares qui s'annoncent droit devant lui. Il hésite une seconde puis tourne à droite, sur un chemin de fortune fait de deux traits aplatis menant vers une clôture à moitié fermée.

Au-delà de cette barrière, il y a un camion stationné dans le champ qui annonce du blé d'inde sucré deux couleurs. Il se gare à côté du camion et éteint ses phares en espérant que les flics ne penseront pas regarder de ce côté.

Ils sont une vingtaine de voitures à défiler en rafale, toutes sirènes criantes, troublant la quiétude de la campagne. Malvé attend quelques secondes et rallume les phares. Il recule lentement et à la hauteur de la route, jette un coup d'œil à l'horizon, en direction sud. Il soupire. Aucuns phares. Il s'engage à nouveau sur la route et cette fois, appuie un peu plus sur l'accélérateur.

Il effectue le reste du trajet dans une zone presque méditative. Lorsqu'il voit le panneau qui annonce l'autoroute, il hésite une seconde mais décide de foncer. Après tout, les policiers vont assurément valider les informations chez Lavergne avant de dresser des barrages. Et si ça se trouve, si le plan de Lavergne ne fonctionne pas, il pourra leur donner une fausse route pour lui laisser au moins le temps de se rendre au premier point de contact. Il aura ensuite le temps de les convaincre de leur stratégie de repérage.

La circulation sur l'autoroute en direction sud est plutôt légère. De nombreuses voitures se dirigent vers St-Jérôme en cette fin d'après-midi. Marc-Alain voit quelques voitures de la Sûreté du Québec et d'autres voitures non balisées qui circulent à toute vitesse sur la voie d'accotement, ce qui ne doit pas aider la fluidité de la circulation.

Malvé souhaite que leur plan fonctionne. Si les forces policières ne se précipitent pas tout de suite à l'Oratoire St-Joseph, comme il serait possible de la croire, il aura peut-être l'occasion de se retrouver dans la cachette des terroristes et attendre qu'ils interviennent avant que ne soient perpétrés d'autres attentats.

Le jeune appuie sur le bouton de la radio et l'animateur discute encore de l'attentat, comme on peut s'y attendre. Cette fois, un expert trace un portrait de celui qui demeure l'individu le plus recherché de l'heure, soit le fameux Malvé, qui, le dit-on, reste toujours introuvable.

« Il n'est pas rare de voir des individus comme ce Vaillancourt, se tourner vers des alternatives plus stimulantes, si je peux m'exprimer ainsi. L'attrait des causes extrémistes peut, dans certains cas, développer une sorte de psychose où l'individu croit fermement être appelé par des voix ou simplement à la suite d'une lecture dans un journal, par exemple. Ce qui est d'autant plus troublant dans le cas de cette personne car il semble qu'il ait eu, dès son jeune âge, selon son père, des épisodes qu'on pourrait qualifier de psychotiques. »

Marc-Alain serre les dents : « L'enfant de chienne! Tu parles d'un père qui supporte son fils! » pense-t-il en fermant le poste de radio.

La voiture s'engage dans les bretelles de l'échangeur, à la hauteur du boulevard Métropolitain. Il a vu, quelques instants plus tôt, le dôme imposant de l'Oratoire, se détacher en ombre chinoise au même titre que la montagne qui trône au cœur du Centre-Ville.

Le déclencheurWhere stories live. Discover now