JOUR 1 - La douce Catherine

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  • Dedicated to Joumana Zeghaib
                                    

Il marche d'un pas rapide, observant ses propres pas sur la pelouse fatiguée. Un vent soulève des centaines de feuilles mortes aux couleurs chaudes qui virevoltent tout autour de lui puis choient en silence. Un chien jappe. Il court derrière un disque de plastique rose que vient de lui lancer une jeune fille, probablement une étudiante de McGill qui a décidé de faire l'école buissonnière. Elle ne semble pas se préoccuper de la valse des sirènes qui a créé un dôme de plainte au-dessus de la ville. Il veut lui parler et lui demander comment elle fait. Il s'avance et elle le voit. Un petit sourire lui indique qu'il peut s'approcher davantage. Puis, il la reconnaît et ça lui donne un regain d'espoir. À moins que ce ne soit la fausse illusion de l'amour.

« Marc-Alain, le grand Malvé, le sublime ! s'exclame la fille. Je ne m'attendais pas à te voir ici. Qu'est-ce que tu deviens ? »

Elle l'embrasse sur les jours et laisse sa main droite dans la sienne, le temps d'une respiration.

« Bah, je me promène. Je viens d'arriver à Montréal. J'étais à Hull. En fait, un peu à Ottawa aussi. »

Il ne peut lui dire qu'il y a passé deux ans en prison. Ça briserait le rythme et éteindra le rouge sur les joues de Catherine Manseault, son amie d'enfance, la fille qui apparaît sur l'une des photographies qui traînent quelque part sur une table. Comme il est loin ce premier baiser qui l'avait tant envoûté.

« Tu es sorti de prison quand ? lance-t-elle sans se départir de son sourire, sur le même ton. J'ai parlé à ta mère il y a au moins un an. Elle m'a raconté. »

« Ce n'est pas ce que tu penses... »

« Je ne pense rien, Marco. Je ne te comprends pas, mais je ne pense rien. D'où arrives-tu comme ça ? Tu es blanc comme un drap. »

Elle se colle tout contre lui, mais il se tient raide, sur ses gardes, comme si elle allait sortir un couteau et lui trancher la gorge. Il toussote et recule.

« Excuse-moi, je viens de la manif, sur René-Levesque. Tu n'entends pas les sirènes ? Tu as entendu la bombe qui a explosé ? »

Elle écarquille les yeux. Visiblement, elle n'est pas au courant de ce qui vient de se produire. Elle prend peu à peu conscience, il le voit, des raisons de toute cette agitation autour d'eux. Des voitures de police continuent d'affluer vers le cœur de la ville, des hélicoptères passent et repassent au-dessus des édifices. On entend au-dessus de leur tête le grondement des jets qui sillonnent le ciel. L'armée est déjà là, hélas.

« Je... non... Qu'est-ce qui s'est passé ? J'avais mes écouteurs sur les oreilles et... »

« C'est un attentat, Catou. Quelqu'un, un type arabe, s'est fait sauter. Je l'ai vu. Je veux dire que j'ai vu le gars quelques minutes avant. C'est fucké, c'est malade... »

Elle recule, les yeux remplis de larmes. « Tu l'as vu ? Mais comment ça ? Tu aurais pu mourir ! Il y a des morts ? Il faut que j'aille voir... »

« Non, attends, reste, n'y va pas. C'est trop horrible. Il faut s'en aller d'ici. Il faut s'en aller où il n'y aura pas de bombes, de morts, de guerre. Je suis écœuré de tout ça. Pars avec moi. »

Elle éclate de rire et secoue la tête. « Tu veux t'enfuir ? Où veux-tu aller ? Ce n'est pas en fuyant qu'on va régler ce problème. D'abord, il y a des centaines de personnes qui ont besoin d'aide, là, maintenant. Je vais y aller pendant que toi tu vas te cacher comme un petit gars qui a peur de son ombre. »

« Attends ! » Elle est déjà en train de ramasser des affaires, appelle le chien et l'ignore. « Attends, tu ne peux pas. C'est trop horrible, là-bas. »

Le déclencheurWhere stories live. Discover now