Chapitre 7 : Regret

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PEARL :

- C'est ta mère qui repasse ? me demanda Samantha.

Un sourire nostalgique envahit mes lèvres.

- Non, c'est moi. Ma mère est décédée quand j'avais neuf ans, répondis-je.

- Oh... Je suis désolée, fit la blonde un peu désemparée.

- Tu pouvais pas savoir. Je vis seule avec mon père depuis un petit paquet d'années, et on s'est divisé les tâches pour que ce soit plus simple. Il cuisine parce que moi, à part faire cuire le popcorn, je suis nulle. Je repasse. Il fait les courses, moi la vaisselle. Et ainsi de suite.

- Ça n'a pas dû être évident pour autant... insista Samantha.

- Je m'y suis fait. Et puis, je ne vais pas regretter toute ma vie sa présence. Ça ne changera pas les choses, alors autant avancer.

- Plus facile à dire qu'à faire, fit Garry.

Je me retournai vers lui. Ses dents avaient grincé. Il sembla hésiter un instant, puis finalement, il ajouta :

- Mon père est mort il y a un an, j'ai encore du mal à m'y faire.

- Je ne suis pas à ta place alors je peux juste te parler de mon expérience. Personnellement, j'ai décidé de chasser les regrets parce que ça me rendait plus triste que la mort de ma mère en soi. Ça ne veut pas dire que si je n'aimais pas ma mère, simplement que je ne veux pas être inutilement peinée à cause de son départ. Et puis, quelque part, ça entacherait son image.

- Et elle est morte comment ? demanda timidement Addison.

- Elle était malade, cancer des poumons. En même temps elle fumait, et pas qu'un peu. Au début ça allait, mais on a dû l'hospitaliser au bout d'un moment. Elle était censée finir ses jours là-bas, mais ce n'était pas vraiment dans son tempérament. Un jour, elle a décidé de sortir de l'hôpital malgré l'avis de ses médecins. Elle a passé la journée avec moi, m'a annoncée qu'elle allait partir, et m'a donné des milliers de conseils sur la vie. Et puis après, elle et mon père sont partis faire la fête une dernière fois, tous les deux. J'aime bien dire qu'ils ont fêté leur amour.

Je ne pus m'empêcher de sourire à cette anecdote de ma vie. Mon père m'en parlait souvent.

- Je sais qu'elle a fumé ce soir-là, malgré son cancer. C'était un peu sa façon de dire qu'elle emmerdait celui qui l'avait mis dans un tel état. Personnellement, je trouve ça un peu stupide, mais c'était ses choix. Elle a décidé de son dernier jour, de ses derniers mots, de tout.

Je me tournai vers Garry, c'était à lui que je voulais adresser mes prochains mots.

- Je ne sais pas si elle s'est suicidée, ou si le cancer l'a juste emportée, mais je sais qu'elle est morte durant la nuit. Quand mon père est rentré, il m'a dit que ma mère avait rejoint les étoiles, qu'elle était heureuse, et que si je fermais les yeux très forts, je pourrais toujours la voir, l'entendre et la sentir. Il m'a dit que les autres ne la verraient plus, mais que nous, on pourrait toujours se rappeler d'elle, et c'était comme si elle ne nous avait pas quitté. Et c'est vrai, elle ne nous a pas quitté. Pas dans le sens où elle n'est pas morte, mais dans le sens où je me suis construite grâce à elle, mon père aussi : elle a eu un impact dans nos vies et ce n'est pas parce qu'elle est morte que tout cela a disparu.

- Mais elle ne te manque jamais ? me demanda Garry.

- Si, bien sûr. Mais ce n'est pas un regret. Juste un constat. « Ah, ça serait cool si elle était là. ». Et puis, je me rappelle que ce n'est pas le cas, donc tant pis, c'est comme ça. Si tu continues chaque jour de ta vie à te dire que telle ou telle chose aurait été mieux d'une autre manière, c'est qu'au lieu de vivre ta vie, tu rêves d'un monde qui n'existera jamais. Et même si un jour tu arrives à avoir ces choses que tu désires, tu regretteras d'autres choses, tu voudras d'autres choses. Parce que le regret, ce n'est pas lié à ce qui nous manque, c'est lié à la façon dont on apprécie ce que l'on a. Il y a des gens qui veulent toujours plus, et qui regretteront toujours quelque chose. Et il y a des gens qui ont accepté leur vie telle qu'elle est, et qui apprenne à la vivre à fond. J'ai décidé de faire partie de la deuxième catégorie, et je crois que je suis bien plus heureuse comme ça.

A vrai dire, je ne savais pas vraiment comment j'arrivais à tenir un discours aussi construit avec autant d'alcool dans le sang, mais voir que tous mes amis m'écoutaient attentivement m'encourageait à continuer. C'était comme si je leur apprenais quelque chose, comme s'il voyait la vie autrement, comme moi je la voyais.

- Tu sais, ma mère est morte à vingt-huit ans. C'est jeune. Mais le truc, c'est que je crois qu'elle a encore plus vécu en vingt-huit ans que certains vieux de quatre-vingt ballets. Elle était mariée, amoureuse, mère. Elle avait des souvenirs avec ses amis, sa famille. Elle avait tout ce qu'elle voulait, parce qu'elle ne voulait rien de plus que ce qu'elle avait déjà. Peut-être que si ma mère avait été un peu plus responsable, elle ne serait pas tombée enceinte par erreur à 19 ans, elle aurait continué ses études, elle n'aurait jamais allumé sa première clope, et j'en passe. Mais ce n'était pas de cela dont elle rêvait, alors elle a fait d'autres choix. Et jamais elle ne les a regrettés, alors ce n'est pas moi qui vais les lui reprocher en regrettant sa présence à mes côtés.

Je souris. En réalité, j'étais fière de ma mère. J'étais fière de comment elle avait grandi et comment elle continuait de grandir, à travers moi et dans mes souvenirs.

- Le truc c'est de toujours vivre en s'écoutant profondément et en sachant ce qui nous rend heureux. Et si jamais on se trompe, ce n'est pas grave on accepte et on avance vers de nouveaux objectifs. Je veux faire des études, je travaille. Je veux des souvenirs, je profite. Je ne veux pas mourir à vingt-huit ans, je ne fume pas. Et puis si ça arrive, et bah tant pis, ma vie sera différente. Pas moins bien. Pas mieux. Juste différente de ce que je prévoyais, et c'est sûrement mieux que de tout savoir à l'avance.

Un silence s'installa dans le groupe, mais j'avais fini mon petit discours. Enfin... presque. Je regardai Garry.

- Je ne sais pas comment ton père est mort, ni ce que tu ressentais pour lui. Mais je sais que le plus gros point négatif dans son décès c'est sûrement le simple fait que tu regrettes. Tu devrais peut-être te dire que tes regrets ne sont pas liés à sa mort, mais juste à toi, à la vision que tu as de cette mort, du monde. De ton monde. En tout cas c'est ça que je ferais moi.

Je pensais que Garry me répondrait quelque chose, ou au moins hocherait la tête. Au lieu de cela, il tourna son visage vers Addison, assise à ses côtés, et l'embrassa sans aucune retenue. Alors que tous nos amis restaient choqués de sa décision si soudaine – sûrement en partie due à l'alcool –, je ne pus m'empêcher de sourire : il avait compris ce que j'avais voulu dire. Vivre sans regret.

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