Chapitre 1.1

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 ‒ Qui a fait ça ? Qui ?

Devant le gymnase, le proviseur s'adresse au cercle d'élèves qui s'est formé, malgré l'interdiction formelle de quitter la zone de repli surveillée par des professeurs dépassés. Les services de secours ont réagi immédiatement, bien que les sprinklers aient déjà empêché le feu de se propager.

Monsieur Hellouin n'est pas d'humeur à se réjouir de l'efficacité de ce système d'extinction incendie flambant neuf qui a pris belle part sur le budget du lycée Emma Bovary.

‒ J'exige que le responsable se dénonce !

Ce proviseur calme et très investi n'est pas du genre à s'emporter. Madame Dubuc, l'adjointe et professeure de mathématiques, s'approche de lui, à la fois pour montrer sa solidarité, mais surtout pour un conseil qu'elle lance à l'assistance :

‒ Reculez, c'est dangereux !

Les élèves obéissent, bon gré mal gré. Les équipes de secours accrochent les rubans de signalisation blancs et rouges que le vent fait siffler.

De l'extérieur, on ne devine rien de l'incendie. Les flammes ont péri avant de faire trop de dégâts. Il faut pénétrer dans le bâtiment en forme de dôme pour voir que seuls la porte d'accès et le corridor menant à la piscine sont noirs de feu. Le panache de fumée s'est, lui aussi, dispersé.

‒ Les gendarmes seront bientôt là, murmure madame Dubuc à l'oreille du proviseur.

‒ Je veux que le coupable se dénonce ! répète monsieur Hellouin, un doigt menaçant porté vers le ciel. Vous allez le regretter ! VOUS-ME-CASSER-LES-PIEDS-AVEC-VOS-IDIOTIES !

Il n'avait jamais montré visage si nerveux, ni paroles si cassantes en public. L'adjointe tente de le calmer et demande aux autres professeurs de réunir tous les élèves sur le terrain de basket, derrière le bâtiment qui suscite autant d'émoi.

Parmi le groupe d'adolescents en tête de marche, une voix s'élève :

‒ Ce n'est pas si terrible, marmonne Doryan.

‒ Tais-toi ! s'agace Zina derrière-lui. Ça aurait pu être grave !

Derrière eux, Gigi se fait toute petite. Personne ne remarque rien, l'adolescente au sweat-shirt trop grand s'est toujours fait caméléon depuis son arrivée dans l'établissement. Elle se recroqueville, tant la culpabilité l'étreint.

Et si monsieur Hellouin apprenait la vérité ? Comment réagirait-il ? Que dirait-il à cette élève sans histoire ? S'il s'énervait, là, devant tout le monde, lui criait dessus comme si c'était la pire des meurtrières ? Tiendrait-elle le coup ? Gigi sent le sang battre dans ses tympans.

Une fois réunis sur la pelouse qui encadre le terrain de basket, les visages graves se sont détendus, certains chahutent même. Madame Dubuc est parvenue à dégoter un micro sans fil qui grésille lorsqu'elle l'allume.

Les hauts-parleurs résonnent :

‒ Je demande le calme, s'il vous plaît !

Monsieur Pommier, d'humeur moins affable que lors de ses cours de sciences, ordonne à Doryan et ses copains de se taire, le regard noir. Faut dire que la serre contenant les spécimens qu'il rapporte de ses voyages se trouvent à deux pas du gymnase.

Madame Dubuc triture d'une main sa chaîne en or, et serre le micro de l'autre. Elle déteste prendre la parole devant autant de monde, loin de sa salle de classe protectrice qu'elle n'a pas quitté depuis des années. En hiver, elle emmitoufle ses pieds dans des chaussons qu'elles cachent sous le bureau, c'est dire si elle fait quasiment partie des meubles.

‒ Je dois vous informer que les structures sportives, l'accès au vestiaire et à la piscine sont interdits jusqu'à la fin de l'année.

‒ LA FIN DE L'ANNÉE ! déplore Malvina, jeune nageuse émérite.

‒ MÊME LA PISCINE ! s'exclament d'autres.

Gigi reste interdite, se concentre sur l'ongle de son pouce qu'elle tente de couper avec ses dents.

Madame Dubuc leur fait signe de se taire. Le proviseur accourt, cravate au vent, et se saisit du micro, ce qu'elle accepte sans cérémonie, bien au contraire.

‒ Oui, jusqu'à la fin de l'année ! Le gala de natation est donc annulé !

Monsieur Hellouin semble avoir retrouvé son calme, son teint est redevenu clair, bien que sa colère s'entende dans chacune de ses intonations.

‒ Le ou les responsables sauront que derrière chaque acte, il y a des conséquences. Comme j'imagine qu'ils fanfaronnent, et ont sûrement déjà posté leur exploit sur leur réseau social de...

Lorsque Gigi voit madame Dubuc poser sa main sur l'épaule du proviseur, son estomac se noue. Elle a l'impression que c'est sa propre main qui tente d'apaiser monsieur Hellouin.

‒ J'espère que leurs amis sauront les sermonner ! Ce qui me met encore plus hors de moi, et ce que je veux que vous compreniez, c'est que non seulement vous abîmez les biens de la communauté, que vos parents ont aidé à financer, mais surtout vous auriez pu tuer quelqu'un ! Monsieur Roullier était dans le local, à ce moment-là !

Gigi remarque plus loin « l'homme à tout faire », sa froideur le fait paraître aussi vieux que les murs du lycée.

‒ Je prends la décision d'interdire l'accès à la piscine, même après les travaux de réhabilitation, jusqu'à ce que le coupable se désigne. Et cette sanction gardera effet à la rentrée prochaine !

Les élèves bourdonnent, se lancent des regards.

‒ Sérieux, assumez, ceux qui ont foutu le bordel ! lance Zina. Dénoncez-vous !

‒ Il n'a pas le droit ! affirme Malvina, en croisant les bras pour contenir sa vexation.

Gigi sent la nausée l'envahir.

‒ Petite, ça va ? lui demande un élève de terminal.

‒ Oui, oui...

Elle essuie son front.

‒ Je vais également voir avec le conseil d'administration, poursuit le proviseur, pour interdire les téléphones portables dans l'enceinte du lycée.

Des rires nerveux, moqueurs, ironiques, s'emparent de la foule.

‒ Je vous avais prévenu !

‒ Vous nous faites payer pour deux ou trois crétins ! s'emporte Doryan.

‒ Vous allez apprendre les règles d'une vie en communauté !

Les challenges de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux qui explosent ont également touché les élèves hyperconnectés du lycée Emma Bovary. Depuis deux ans, les professeurs ont été témoins d'élèves qui filmaient leurs exploits de rébellion, répondant à l'appel de certains influenceurs. Malgré des sanctions déjà prises, force est de constater que ça ne s'était pas arrêté, malgré des issues bien plus terribles dans d'autres établissements du pays.

‒ Enfin, j'annonce la fin des cours pour aujourd'hui. Rentrez chez vous et réfléchissez à vos actes !

La grogne reste parmi le groupe qui commence à s'éparpiller. Doryan et Zina pivotent en direction de l'arrêt de bus. Le jeune homme marche, par mégarde, sur le pied de Gigi.

‒ Oups, déso ! lâche-t-il sans même la regarder.

A cet instant, Gigi songe qu'elle ne peut pas mériter plus la transparence qu'elle lui inspire. Elle relève sa capuche et enfourche son vélo, bien résolue à s'éloigner du lycée à grands tours de pédales.

Démente NarcisseWhere stories live. Discover now