Démente Narcisse

Chapitre 20

 C'est le matin.

Il n'y a plus aucune trace de la fête. Zina et Gigi avaient déjà tout bien rangé. Virginie a simplement aidé à remettre le canapé et la table en place, avant de se coucher.

Les trois femmes ont dormi d'une traite, épuisées par les émotions. C'est un soleil d'or qui les surprend, elles s'éveillent dans la chambre de Gigi. Aucune n'ose prononcer un mot. Pourtant, Gigi et Lavande savent, qu'au fond de leur âme, elles doivent conclure cette conversation.

‒ Je vais nous faire des pancakes, annonce Virginie en s'étirant.

Elle quitte la chambre et s'en va chercher des œufs dans le cellier.

Dans la chambre, Lavande et Gigi se sourient.

‒ Alors, c'était ça : réparer les liens qui s'étaient cassés entre moi et ma mère.

‒ J'en suis convaincue, maintenant.

‒ Tout était lié, tout. J'avais la personne qui m'était le plus chère au monde pour me sauver de mes angoisses, de mes démons, et j'ai tout fait pour l'éloigner.

‒ Mais en me choisissant moi, pour profil, tu t'adressais déjà à ta mère, quelque part. Je n'existe pas...

‒ Non, Lavande. Je m'excuse pour cette chose vraiment horrible que je t'ai dit, car tu existes. Tu existes.

‒ Non, tu avais raison : je n'existe pas. Enfin, pas vraiment.

‒ Tu te trompes, bien sûr que tu existes. Tu es une part de moi.

Elles s'enlacent. Les battements de leur cœur s'accélère et leurs larmes coulent.

‒ Alors, c'est le moment des au revoir ? demande Lavande.

‒ Qu'est-ce que je vais faire sans toi ? Je le sens, tu vas partir.

‒ Mais je ne m'en vais pas vraiment. Je suis un peu de toi, je vis en toi.

– Je suis dans ton...

La voix de Gigi se brise.

– ... truc rose qui ressemble à cette chaussette en boule.

Lavande lui montre les chaussettes qui dépassent de son sac. Alors Gigi ne sait plus si elle pleure de rire ou de tristesse.

‒ J'ai le nez qui coule. C'est horrible, tu veux bien me passer un mouchoir ?

Virginie revient dans la chambre.

‒ Oh, pardon, les filles. Je vous laisse.

‒ Non, maman, reste.

‒ Quoi ?

‒ Excuse-moi pour tout.

‒ Mais Gigi, pourquoi ? Tu es une fille adorable. Et j'ai l'impression que nous avons retrouver notre complicité d'avant.

‒ Je t'ai fait souffrir, à te repousser comme ça ces dernières années. Je n'avais pas compris non plus ta solitude, avec papa toujours parti. Et tes propres hésitations dans la vie.

‒ Je ne t'ai pas aidé non plus. Moi aussi, je vais devoir évoluer, et te laisser devenir la femme que tu seras, sans jugement.

C'est au tour de Virginie d'avoir les yeux brillants.

‒ Oh, non, les filles. Nous faisons une belle équipe de madeleines !

‒ Je t'aime, maman.

‒ Oh... moi aussi, Gigi. Moi aussi.

Alors que Gigi se réfugie dans les bras de sa mère, Lavande semble s'éclairer de l'intérieur. Sa peau de porcelaine se fait vive, ses cheveux améthyste luisent.

‒ C'est le moment !

‒ Non !

‒ Gigi, tout ira bien, je te le promets.

Gigi vit l'instant comme un ralenti. Un ralenti de tendresse, de douceur et d'urgence. Elle revient vers Lavande et la serre fort dans ses bras, sentant sa chaleur et son parfum de jasmin et de cerises.

‒ N'aie pas peur, lui murmure-t-elle. Je suis là.

Soudain, une vague aérienne encercle les deux jeunes femmes. L'étreinte de la belle comète violette se fait plus forte.

Puis Lavande s'efface.

Elle s'efface.

Elle s'effac...

Elle s'eff...

Elle...

La dernière trace de son passage, c'est une larme d'étoiles mauves qui glisse sur la joue de Gigi, avant de disparaître à son tour.

Sa prise évanouie dans les airs, Gigi se recroqueville sur son lit.

– Ça va, Gigi. Tu pleures ? Mais qu'est-ce qui se passe ?

Virginie s'approche et lui caresse les cheveux.

– Elle n'a pas eu le temps de dire au revoir.

– Qui ça ?

– Lavande.

– Qui ça ? répète-t-elle.

– Mais... Lavande.

Virginie se baisse et ramasse la poupée, redevenue intacte.

– Oh...

– Oh, maman !

Gigi se jette à nouveau dans ses bras.

Virginie l'enveloppe de sa plus belle douceur, deux ailes protectrices contre la tempête qui fait rage dans son cœur.