Chapitre 10.2

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 Lorsqu'une heure plus tard, elles entrent dans la salle commune de l'EHPAD des Gentianes, Gigi sent sa mère beaucoup moins triste et moins tendue. La visite des chambres et du self en présence du directeur s'est passée sans encombre, le personnel ne s'enferme pas dans une amabilité forcée, le discours de la direction ne fait pas trop commercial et les récents travaux sont visibles.

– Il n'y a pas de croûtes horribles comme on n'en trouve partout ! avait même constaté Virginie en désignant les murs.

Mais à la vue des pensionnaires, qui rendent plus concrète la situation de Papé, Virginie se fait moins enthousiaste.

Les trois femmes observent cette salle du troisième âge. Autour des tables, on essaie de coudre, de faire un gâteau, ou encore de dessiner. Gigi se demande si l'un des pensionnaires en déambulateur veut échapper à son voisin triturant son dentier ou s'il fait la course avec une petite vieille endormie devant ses dominos. Un autre gobe les fruits de son grillé aux pommes.

Lavande balaie des yeux la scène, puis demande :

– C'est donc ça « Jurassic Tarte » ?

Gigi contient l'explosion de son rire quand une jeune femme en blouse verte s'avance vers eux.

– Je vous en prie, allez vous asseoir là-bas, on va vous servir à boire.

Elle désigne une petite table ronde aux chaises vides. Virginie, mal à l'aise, demande alors :

– Je peux avoir un thé, s'il vous plaît ?

– Bien sûr, madame, quel parfum vous ferait plaisir ?

Virginie laisse flotter les secondes, déconnectée de la réalité, alors qu'elle dévisage un vieillard rachitique qui bave.

– Whisky !

– Hein ?

– Trois thé à la menthe, s'il vous plaît, précise alors Gigi.

Après avoir reçu leurs gobelets d'eau bouillante, elle tend sa carte bleue à Gigi :

– On n'est pas prêtes de le boire, ce thé. Prends-nous des bonbons au distributeur !

– Pourquoi tu n'y vas pas ?

Virginie se cache le visage d'une main.

– Pour éviter de croiser Bradley Cooper !

Le vieillard aux cheveux peroxydés les fixe.

– Okay. Tu viens, Lavande ?

– Mais Gigi, tu ne vas pas te perdre. Je la garde avec moi !

Sur ce, Virginie entonne sur l'air de Lady Marmelade :

– Voulez-vous rester avec moi, ce soir, ya, ya, da, da !

Lavande sourit.

– Eh ben, je vois qu'on s'amuse bien par ici ! claironne l'infirmière, en espérant que les autres pensionnaires s'égayent aussi.

Les franges de la veste de Virginie vacillent alors qu'elle baisse les bras. Gigi lève les yeux au ciel et pivote pour rejoindre le distributeur automatique. Il est coincé entre la porte ouverte de la salle commune et une jarre de plantes en plastique qu'une résidente tente d'arroser.

Elle jette son dévolu sur un paquet de chamalows qui s'échoue dans un bruit sourd. Une voix familière résonne dans son dos :

– Bon choix !

– Doryan ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

– Je viens pour leur enseigner le lancer de poids !

– Tu les fais vivre dangereusement. Ah, tu veux ma place, pardon !

Démente NarcisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant