Chapitre 5.2

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 Lavande descend du bus à contrecœur. Mais son départ n'est pas pour déplaire à un usager, propriétaire d'un chiot que l'adolescente a tenté de faire parler.

– C'est la première fois que je ne m'ennuie pas dans les transports, se moque Gigi.

L'adolescente a en mémoire cette vidéo d'un chihuaha-chanteur devenue un mème viral qu'elle avait relayée sur son compte LavandeM.

– Bon, passons aux choses sérieuses. Je me suis dit qu'il valait mieux te faire découvrir la ville. C'est ici que j'ai grandi et j'aimerais te montrer mes endroits préférés. Tu ne peux pas te cantonner à ma chambre et mon lycée !

Elles se tiennent devant l'entrée du parc municipal, pris d'assaut par les citadins déjà nostalgiques de leurs vacances d'été. Sur les pelouses douces sont étalés des petits groupes somnolents, rieurs, mangeurs ou lecteurs.

Sur le sentier, Lavande pivote sa tête pour ne rien manquer. Faut dire que Gigi a choisi un des plus beaux endroits de la ville. En contrebas du parc aux arbres protecteurs, on aperçoit le lac dont la surface lumineuse est striée par le passage d'une navette en bois qui relie les quatre coins du rivage. Pour couronner le tout, les bâtiments du centre historique dévoilent leur toiture montagneuse au-dessus des cimes.

Les larmes montent aux yeux de Lavande, bien que son sourire ravageur ne quitte pas ses lèvres.

– Qu'est-ce que tu as ? Mince, tu n'as pas de lunettes de soleil. Viens, on va t'en trouver, j'ai pris mon argent de poche. Ne fixe jamais le soleil, ni son reflet dans l'eau, tu vas t'abîmer les yeux !

– Je n'ai pas compris tout ce que tu m'as dit, mais je te fais confiance. Oh, regarde, Gigi !

L'adolescente cherche des yeux ce que cette drôle de comète mauve a bien pu remarquer.

– Attends-moi !

Lavande foule la pelouse et Gigi comprend qu'elle s'approche d'un groupe d'adolescentes qui lézardent au soleil, tout en dégustant une glace.

– Je connais, ça !

– Il y a un problème ? demande l'une des filles allongées.

Lavande fait non de la tête, sans pour autant se retenir de toucher le cornet sur lequel pleure la boule de fraise.

– Dégage de là !

– Excusez-là, excusez-là !

Gigi saisit Lavande et la ramène sur le sentier.

– On ne touche pas la nourriture des autres !

– Y'a beaucoup de choses qu'on ne peut pas faire, dans ton monde !

Lavande grimace et regarde dévaler une coulée de crème glacée sur son doigt. Elle fronce les sourcils.

– C'est froid ! Oh, c'est bizarre !

– Viens, je vais t'en acheter une.

L'échoppe en bois bleu et blanc du marchand de glaces n'est qu'à quelques pas. Gigi repart avec une glace vanille. Simple, classique, pour commencer. Lavande tâtonne, hésite avant de prendre une bouchée. Elle grimace à nouveau, puis finalement :

– Je suis déçue. J'avais l'impression que c'était tout mou, agréable en bouche, comme un sucre qui coule, comme une pâte à gâteau élastique. Et puis c'est trop froid !

– Toi, c'est de la guimauve qu'il te faut.

– « Guimauve », répète Lavande. « Guimauve ». « Guimauve ».

– Oui, bah, tu ne vas pas répéter ce mot cent-sept ans, dis !

– Mais j'aime bien ce mot « Guimauve », non ? « Guimauve ». Guimauve. Ha, ha !

Démente NarcisseWhere stories live. Discover now