Chapitre 7.1

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Ding Dong

– T'es sûre que c'est là ?

– Mais oui, c'est bien ça : numéro 127.

Elle lui montre la plaque de métal accrochée sur la porte. Voilà déjà deux fois que Gigi sonne. Le carillon s'étouffe derrière le bois épais. En attendant, Lavande repère son reflet dans le miroir mural. Se voyant pour la première fois de la tête au pied, elle s'admire et tourne sur elle-même en ajustant son haut gris.

– C'est quand même bizarre, des jambes.

Une voisine sort de chez elle, avec un sac à ordures à la main.

– Bonjour, marmonne Gigi qui remarque le drôle de regard qu'elle pose sur elles.

La dame fait un simple signe de tête et s'engouffre dans l'ascenseur.

– Il est moche son sac à main.

– C'est ses poubelles !

– Ah, oui...

Gigi entend un tour de clé.

– Oui, c'est qui ?

Pas de doute, c'est bien la voix de William. Il a entrouvert la porte, sans retirer la chaîne. Gigi ne l'imaginait pas si suspicieux, d'autant plus qu'il vit dans les beaux quartiers.

– Salut, c'est Gigi !

Elle aperçoit son œil vert.

– Mais... qu'est-ce que tu fais ici ?

Il délivre l'entrebâilleur dans un bruit métallique. S'il n'était pas habillé d'une chemise blanche et d'un pantalon à pince, elle aurait pensé qu'il sortait d'une séance de sport.

– Désolée de te déranger, mais j'ai quelques questions à te poser.

– C'est qui ? demande-t-il en découvrant que Gigi est accompagnée.

– Lavande. Justement je viens pour...

– Mais, attends ! Comment tu as eu mon adresse ?

– J'ai demandé à Leslie, de la colonie. Mais, j'ai l'impression qu'on gêne. On peut repasser plus tard, si tu veux.

L'air de surprise de William n'est pas encore parti, mais il semble surtout curieux.

– Non, non, c'est bon. Entrez !

Il libère enfin le passage, les laissant investir un vestibule clair et parfumé.

– Et, donc, tu habites aussi à Blangelesse ? demande-t-il.

– Non, à deux heures d'ici. Nous sommes venues exprès pour toi.

– Ah bon, pourquoi ?

Le grand salon est baigné d'une lumière apportée par deux bow-windows accueillant des banquettes confortables. Gigi ne se serait jamais doutée que William vivait dans un environnement aussi cossu. C'était même le seul à ne pas s'être plaint de la qualité de vie « camping » de la détox numérique.

– Asseyez-vous ! propose-t-il, poliment.

Sans hésiter, Lavande se dirige vers le premier bow-window et prend place sur la banquette de lin.

– On sera mieux sur les canapés, non ? propose William, un peu perplexe. Je vous sers un truc à boire ?

– D'accord, dit la jeune aux boucles violettes.

– Non, merci, répond Gigi.

Lavande change donc d'avis :

– Alors, non.

– Non ?

– Non.

– Okay, c'est trop weird. Qu'est-ce que vous me voulez ?

Elle appréhende de poser ses questions et se dandine sur le canapé. Si Lavande est bien concrètement apparue, qu'elle est bien visible de William, de ses parents, l'étrangeté de la situation n'en n'est pas moins amoindrie.

– Rappelle-toi, lors de la dernière soirée au camp, tu as voulu m'exorciser de mon avatar numérique.

Il hoche la tête.

– Eh bien, quand je suis rentrée chez moi, à partir du moment où je suis retournée sur mon compte, Lavande est apparue, comme par magie, dans ma chambre.

– D'accord. Et ? demande-t-il distraitement, comme s'il surveillait une chose invisible.

– Et... eh, ben...

Gigi pivote vers Lavande en ajoutant :

– Eh bien, c'est tout, voilà.

– Tu viens me voir parce que tu n'as pas tenu ta promesse et qu'un de tes followers s'immisce dans ta vie ?

– Mais, non, tu n'as pas compris ! Lavande, la Lavande de mon compte. Bah, c'est elle ! Elle n'existait pas, jusqu'à ce qu'elle apparaisse dans ma chambre.

– Comment ça « qu'elle apparaisse » ?

– Regarde !

Gigi sort son smartphone et se connecte sur LavandeM. La pastille de la photographie de profil est grisée et aucune action n'est possible.

Il ne sait pas trop ce qu'il doit regarder, mais il est maintenant pleinement attentif et son regard oscille entre les deux adolescentes.

– Ton compte est peut-être tout simplement désactivé, espère-t-il.

– William, je ne te mens pas. J'ai besoin de ton aide.

Il détaille Lavande du regard.

– Lavande, tu as quel âge ?

– Euh... comment ça ?

– Tu existes depuis quand ?

– Le 22 mars 2018.

– C'est la date de création de mon compte, murmure Gigi.

L'adolescente se sent peinée. La réponse de Lavande lui rappelle qu'elle n'est pas réelle, qu'elle n'est qu'un produit numérique.

– Attends, okay ? Raconte-moi tout depuis le début.

Démente NarcisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant