Chapitre 7.2

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 Alors que Gigi détaille ses premières journées, William se concentre et ne quitte pas Lavande des yeux.

– Mais... mais, c'est une histoire de dingue, lâche-t-il à la fin.

– Je sais, je réalise qu'on ressemble à deux fous.

– Moi, ça m'amuse, intervient Lavande alors qu'elle observe les poissons d'un grand aquarium.

– Qu'est-ce qui t'as convaincue ? Je veux dire... Qui me dit que ce n'est pas une comédienne ?

– Tu crois que je me serais donnée la peine de venir jusque-là, dans un bus qui sentait le fromage ? Et dans quel but ?

– Me faire chanter.

– Et en me fondant sur quelles menaces ?

William espère un revirement de situation, bien qu'il comprenne que personne ne joue la comédie, et surtout pas Gigi.

– Lavande évolue de jour en jour, poursuit-elle. Elle assimile pas mal de choses, c'est impressionnant. Dès qu'elle est connectée, elle devient une machine de guerre de l'apprentissage !

– Ça se tient... Après tout, ce que l'on peut dire de toi...

Il s'est approché de Lavande, qui se surprend à craindre ce que cet inconnu va lui dire.

– ... c'est que tu es un être numérique. Tu sembles faite de chair et d'os, mais tu pars de là.

Il désigne le smartphone que Gigi a machinalement rabattu contre son cœur.

– Ça me fait penser à autre chose, maintenant qu'on en parle.

– Quoi ?

– Eh bien, tu l'as créé pour ton compte, mais finalement, elle est comme toi. Enfin, pas exactement toi, mais elle a été créée pour être l'intermédiaire entre toi et les internautes.

– Et, alors ?

– Tu trouveras forcément une réponse à ton problème. Les intermédiaires, les portes, les passages, dans toutes les fictions surnaturelles, on trouve le moyen de les verrouiller.

Gigi le regarde, peu convaincue, et surtout en désaccord.

– Tu vas un peu loin, non ? Je ne crois pas que ce soit aussi... compliqué.

– Ça donne à réfléchir, en tout cas.

– Ce dont je ne doute pas, c'est qu'elle ne peut être moi, puisqu'elle ignore tout des normes sociales, et surtout, elle ignore ma vie, mes souvenirs, sauf ceux que j'ai posté ou les choses que j'ai vues sur les réseaux sociaux.

– Elle n'est qu'une infime partie de toi. La partie que tu lui as insufflé à travers tes posts. Je te mets en garde, c'est dangereux, ne te perds pas ! Ce n'est pas une humaine, elle n'a pas d'émotions vraies...

– Je ne sais pas quoi faire, William. J'aime bien Lavande, mais elle ne peut pas rester indéfiniment chez moi. Comment expliquer à mes parents que ma correspondante est en fait une incarnation numérique ? Comment faire auprès des autorités, elle n'existe nulle part... ? Qu'as-tu fais lors de cette soirée d'exorcisme ?

Sa respiration s'accélère.

– Attends, attends... je bluffais. Enfin, j'avais trouvé cette technique sur un forum, c'était à prendre au second degré, je ne pensais pas que ça marcherait.

– Et je fais quoi, maintenant ?

– Écoute, j'ai déjà entendu des choses bizarres sur les exorcismes. Il y a forcément un moyen, il faut juste trouver la clé.

– Te rappelles-tu de ce que tu m'as dit ? La formule précise ?

– Mais non, je t'assure...

– Fais un effort ! Aide-nous à trouver la solution et... qu'est-ce que tu surveilles depuis tout à l'heure ?

Un choc retentit dans la pièce voisine. Gigi se lève.

– C'est rien ! assure William, bien que sa voix trahisse une certaine panique.

Face à sa découverte, l'adolescente recule en criant. Lavande accourt.

– Mais, oh, comme il est mignon ! dit-elle, ignorant la peur de Gigi.

Un serpent glisse sur le parquet. Un autre homme s'approche, l'enroule sur son avant-bras avant de le redéposer dans une grande caisse en bois.

– Tu... tu fais du trafic d'animaux ?

– Bon, c'est bon, sortez de chez moi !

– C'était ça, ton problème ? On t'a envoyé à cette désintox pour te faire éviter la prison ?

– Dehors !

– Ne me pousse pas ! J'ai un moyen de pression, maintenant !

Il s'arrête, la toise.

– Je ne fais rien de mal. Je m'assure que ces animaux tombent dans de bonnes familles.

Gigi n'a aucune envie de s'impliquer dans un autre combat. Quelques secondes passent. Dans la bibliothèque du couloir, elle aperçoit un livre sur les marabouts.

– Tu m'expliques ? Et ça, c'est quoi ?

– Écoute, oui ce sont des choses qui m'intéressent ! J'ai juste reproduit ce que j'ai vu sur internet ! Je n'ai jamais pensé que ça marcherait ! J'ai déjà fait ça avec des potes pour amuser la galerie, et rien n'a jamais marché.

– Qu'est-ce que je vais faire ?

– Qu'est-ce qu'on va faire, je dirais même ! dit Lavande.

William se veut raisonnable :

– Évidemment, Lavande devra repartir d'où elle vient. Ce n'est pas son monde.

– Oui...

– C'est bien pour cela que tu es venue ?

– Oui.

– Tout charme peut être rompu. Il va falloir trouver la clé. Je veux bien te passer le lien des vidéos dont je me suis inspiré. Mais là, je suis très occupé.

William referme la porte du bureau et les emmène vers la sortie.

Sur le seuil d'entrée, il implore :

– Ne revenez pas !

– Tout ça pour ça. On n'en est toujours au même point ! se désole Gigi.

Dans le bus, elles regardent les simulacres d'exorcisme dont William s'est inspiré, mais aucune solution ne leur vient à l'esprit. Pour une raison qu'elle commence à deviner, Gigi ne s'est pas tant sentie désespérée.

– Nous verrons ça demain. A la limite, je ferai une liste d'idées sur ce que l'on connaît pour briser des sorts. Enfin, ce que les films et les livres nous disent.

Elle se tourne vers Lavande qui s'est appuyée contre la vitre du bus, emportée par le sommeil. Son calme, son innocence et sa fragilité lui explosent en plein cœur.

– Ne t'inquiète pas, Lavande, murmure-t-elle. Je t'aiderai à retrouver ta place. En attendant, je promets de prendre soin de toi.

Démente NarcisseWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu