Epilogue - Les narcisses fanent aussi

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Juin

‒ Gigi, tu m'ouvres le portail ?

‒ Maman, trop la flemme !

‒ Allez jeunesse ! Oh, voilà Bryan, tiens ! Toujours dans les parages.

Virginie montre la terrasse du voisin. Le jeune homme prépare son tapis de yoga.

‒ Quel dommage qu'il ne soit pas ton âge.

‒ Maman ! Il est avec Audrey, je te rappelle. J'en ai marre de cette pression sociale ! Ça viendra quand ça viendra !

‒ Eh, eh, je plaisante ! Tu as raison, je suis fière de te voir si indépendante. Allez, va ouvrir le portail, s'il te plaît !

Gigi sort de la voiture, la capuche de son sweat-shirt bien vissé sur sa tête pour contrer la rosée du matin.

‒ Salut, voisine !

Bryan accourt au grillage. Gigi ouvre les battants de bois et laisse sa mère passer.

‒ Ne traîne pas trop, glisse-t-elle par la vitre ouverte en finalisant sa marche arrière.

‒ Salut, voisin !

Gigi s'approche à son tour de la clôture.

‒ Le look gansta te va bien. On dirait que tu n'as plus de cheveux.

‒ Le look yogi te va mieux que le look soirée bière sur le T-shirt.

‒ Ah, ah ! Désolé pour le bruit hier soir.

‒ T'es fou à sortir comme ça, il caille là. Tu vas attraper la mort !

‒ Tu t'inquiètes pour moi ? Enfin, non, tu m'abandonnes. Alors, la Suisse, m'a-t-on dit ?

‒ Si tout se passe bien aujourd'hui, oui.

‒ C'est la dernière épreuve, je sais que tu vas réussir.

‒ Comment tu sais ?

‒ Je sens que tu peux déplacer des montagnes, c'est tout. Crois-en mon expérience, et ma sagesse.

‒ Prétentieux !

‒ Les gens normaux remercient ceux qui les complimentent, en général.

‒ Faut croire que je ne suis définitivement pas normale.

‒ C'est sûr. Donc, tu pars bientôt.

‒ Dans un mois, au plus tard.

‒ Tu ne veux pas m'en dire plus ?

‒ Comment ça ?

‒ J'ai juste appris que vous partiez tous vivre en Suisse, mais tu ne m'as pas dit ce que tu feras là-bas.

‒ J'entre dans une école privée, section arts et dessins, spécialité tatouage.

‒ Génial. Ton père avait l'air très heureux quand il me l'a annoncé hier.

‒ Oui, et ma mère, surtout. Il ne fera plus de déplacements. Ils me suivent au début pour m'aider à m'installer, et ensuite ils montent leur projet commun de restaurant-guinguette.

‒ C'est génial, je suis content pour vous.

‒ Et alors, ce Doryan ?

‒ Quoi ?

‒ Bah, je sais pas, vous êtes restés amis toute l'année, mais je vois bien qu'il attend plus.

‒ Tu nous espionnes ?

‒ Avec Zina, vous êtes tous le temps fourrés ensemble. Vous ne passez pas inaperçus quand vous jouez sur la terrasse qui fait face à la fenêtre de mon salon.

‒ Tu seras bientôt tranquille.

‒ Tout dépend de ceux qui vont vous remplacer. Ça va faire bizarre. Mais, je pense qu'avec Audrey, on va bientôt acheter une maison. Elle rêve de campagne.

‒ Ici c'est déjà plutôt calme comme ville. Moi, mes amis vont me manquer. Zina a déjà prévu de venir me voir cet été. Mais, avec Doryan, ou un autre, pour le moment, j'ai compris que je n'avais pas besoin d'homme dans ma vie amoureuse pour m'épanouir.

‒ Une femme mature, pleine de sagesse. Tu verras. L'amour frappe quand on ne s'y attend pas.

Virginie klaxonne.

‒ Maman ! Il est sept heures du matin !

Virginie fait mine de s'excuser mais lui montre son Apple Watch flambant neuve.

‒ On doit t'inscrire pour l'oral avant huit heures !

Gigi se tourne vers Bryan.

‒ J'y vais. A plus tard, voisin.

‒ A plus tard, Géraldine !

Gigi ne le reprend pas et remonte en voiture.

‒ Cette pipelette, ce Bryan ! Bon, ça va, pas trop stressée ?

‒ Si tu ne me parles pas trop de l'épreuve, ça devrait aller.

‒ Je vais te mettre une de mes musiques. Allez ! Oh, Abba, c'est une valeur sûre !

‒ Pitié, ne chante pas !

Lorsque Dancing Queen résonne dans l'habitacle, Virginie, bien évidemment, délivre sa plus belle voix, se mouvant en rythme, tout comme la voiture.

*

Le réfectoire a été réorganisé en salle d'examen. Trois colonnes de tables individuelles s'étendent de bout en bout, face à un pupitre où madame Dubuc peine à garder les paupières ouvertes.

Les élèves semblent nerveux, grattent leur copie sans ménagement, d'autres, plus rares, semblent en pleine rêverie.

Le soleil se fait plus franc. Certains enlèvent leur veste.

Sur un tableau mobile, le sujet s'inscrit en gras souligné :

« Épreuve de littérature – Texte libre – Pourquoi chercher à se connaître soi-même ? »

Gigi sourit et, inspirée, s'est lancée dans une longue rédaction. Doryan cherche à attirer son attention, mais elle est trop concentrée pour le remarquer.

Elle retire sa capuche, permettant à ses longues mèches violettes de s'évader en cascade sur son dos.


(Fin... 

ou plutôt Zi Hainde, comme dirait Virginie)

Démente NarcisseNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ