Chapitre 2.1

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 C'est une soirée d'été comme on les aime : sans vent, douce et ponctuée par le murmure des cigales. En ce dernier jour, Gigi daigne enfin porter le T-shirt flanqué du logo de la colonie, une main tenant une feuille de hêtre, supposément en lieu et place d'un smartphone. Le coton vert est censé représenter le lien retrouvé avec la nature. Basique.

« Connecting people » disait Nokia. Désormais, les quinze membres de la colonie recherchent tout l'inverse. « Déconnecter pour reconnecter vraiment » leur martèlent les moniteurs.

Au tout début, Gigi craignait de tomber sur des écolos illuminés qui lui auraient demandé de faire des câlins aux arbres. Remarque, il n'en manquait pas dans le parc. Heureusement pour elle, si les activités « Nature » étaient bien planifiées, afin de leur vider l'esprit des pollutions quotidiennes, ce n'était en rien comparable aux sursauts de son imagination.

Gigi est assise parmi Louis, Ornella, William, Jessie et Nordine. Ses pieds reposent sur le muret où l'on devine encore le nom du centre de vacances d'origine, là où les lettres retirées ont éclairci les briques : LES TROIS COCCINELLES.

C'est la première chose sur laquelle elle a bloqué le jour de son arrivée. Revoir cela la ramène deux semaines en arrière, après que ses parents l'aient déposée et qu'elle se soit demandée d'où lui était venue cette idée saugrenue. S'enfermer, elle, avec un groupe d'inconnus, contrainte à couper toute connexion avec le monde extérieur. Comme programme de vacances, il y avait certainement plus alléchant.

– Je ne sais pas pour vous, commence-t-elle, mais j'ai l'impression que ça fait une éternité qu'on a débarqué ici !

– La même ! Il s'est passé tellement de choses !

Depuis son arrivée, elle s'étonne d'être entendue parmi ses pairs. Désormais, elle a le sentiment que c'est un vrai groupe d'amis.

Les animateurs leur ont demandé de ne pas divulguer leur identité : « Ici, vous êtes une page vierge » leur avaient-ils annoncé lors du Rassemblement, le premier d'une série obligatoire, tous matinaux et solennels. Alors, tout comme les autres, Gigi n'avait presque rien révélé de sa personne, et surtout pas dit d'où elle venait. Cela avait compliqué les premiers instants, parce que cela permet d'engager plus facilement une conversation avec des inconnus, mais finalement ça l'avait fait entrer en terrain neutre. C'était même grisant, et c'est ce qu'il lui fallait, elle qui aspirait à devenir une nouvelle personne.

Louis et William, leurs aînés de vingt ans, ont dégoté des bières qu'ils ont dissimulé derrière le buisson, avant de les ouvrir et de trinquer. Ce soir, les animateurs leur laissent la permission de minuit avant le retour chez eux le lendemain. D'expérience, ils savent que les adieux sont toujours difficiles.

Ornella se penche vers Gigi, restée sur le muret, et l'enlace :

– Oh, tu vas trop me manquer !

Les lunettes de l'adolescente se pressent contre sa joue. Ornella sent l'alcool et la fraise. Les Tagada fondent dans sa bouteille.

– C'est pas si mal, ici.

Nordine scrute le lac endormi. Aucune ridule ne vient troubler sa surface alors que la baignade est interdite passée vingt-et-une heure.

– On repassera pour le bain de minuit, lâche Louis.

Il s'est adressé à Ornella. Tous savent qu'il en pince pour elle, sauf qu'elle est en couple, et bien trop amourachée de son petit copain. Elle en a même pleuré, tant la séparation provisoire lui était insupportable.

– Allez, Ornella ! Ce qui se passe au camp, reste au camp ! On ne ferait pas de mal, on se rapprocherait de la nature.

– Les mecs ! Bois ta binouze et calme ton joystick en allumettes !

Démente NarcisseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant