La fille de la Lune

Chapitre 15 - Luna

Le séisme avait bien calculé son coup, quand même. Je veux dire, se déclencher pile pendant la légende des tremblements de terre en Sicile, il fallait le faire.

- Après que Zeus aie libéré ses frères et sœurs que leur père, le titan Cronos, avait avalé, une terrible guerre commença. Appelée la Titanomachie, elle opposait les premiers Olympiens aux Titans, les divinités qui les précédaient, racontait Julia, notre guide. Après leur victoire, les Olympiens enfermèrent dans le Tartare, le lieu le plus profond et le plus sombre des Enfers, la plupart des Titans.

Je connaissais cette partie de l'histoire, mais la petite femme en face de moi avait une voix d'or et un talent de narration indéniable, si bien que j'avais le sentiment de redécouvrir le mythe, tout en sachant ce qui se passait ensuite.

- Gaïa, furieuse que ses enfants les Titans soient enfermés, engendra alors une nouvelle génération de monstres : les Géants. Commença alors la « guerre des Géants »...

« La Gigantomachie », complétai-je silencieusement.

- ... la Gigantomachie, poursuivit la guide en parfait écho de mes pensées. De nouveaux Olympiens, tels qu'Hermès, Artémis et Apollon, Dionysos ou Héphaïstos prirent part à cette bataille. Un géant du nom d'Encelade affronta Athéna, et la déesse l'ensevelit sous un énorme rocher : la Sicile. La légende veut que la terre tremble lorsque...

C'est à ce moment précis que le séisme nous ébranla. Drôle de coïncidence, hein ?

Vivre un tremblement de terre est vraiment une expérience bizarre. Je ne vous le conseille pas – si tant est que vous ayez le choix. Sentir le sol se dérober sous ses pieds est vraiment quelque chose de dérangeant. Les appuis ne sont plus bien ancrés dans le sol, et cette soudaine impression de fragilité, ce sentiment qu'on pourrait tomber à tout moment, est horriblement effrayant.

Julia avait repris son équilibre avec un micro-sourire.

- La légende veut, répéta-t-elle, que la terre tremble lorsque le géant Encelade se retourne.

Je me sens soudain très mal. Si Artémis existe bel et bien alors... Nous serions en train de marcher sur le rocher qui maintient emprisonné un géant ? Et vu la taille du rocher en question, le géant...

Prise de nausées, je n'ai qu'une envie : retourner sur le bateau le plus vite possible. Je croise le regard effaré de Camille et je sais qu'elle a pensé à la même chose que moi.

- Tout va bien, Luna ? s'inquiète Maddie. Tu es toute pâle.

- C'est le tremblement, me justifié-je. C'est terrifiant.

- Ne t'inquiète pas, ma puce, ce ne sont pas des séismes dangereux qui sont prévus ces prochains jours.

Prévus ? songé-je, amère. Comme l'éclipse de l'autre jour, tu veux dire ? Bien sûr, je le garde pour moi et me contente de hocher la tête. J'ai quelquefois envie d'en parler avec Maddie et Paul. Dans ces moments j'ai l'impression que m'ouvrir à un adulte me rassurerait. Impression ridicule, bien sûr. Ils sont aussi impuissants que nous face à quelque chose d'une telle ampleur. De toute façon, soit ils ne nous prendraient pas au sérieux, soit ils s'inquiéteraient pour notre santé mentale. Même dans le meilleur des cas, si ils nous croyaient, ils passeraient le reste du voyage dans le même stress que nous.

Non, ce n'est définitivement pas une bonne idée.

Comme quand j'étais petite et qu'ils éteignaient la radio lorsqu'il était question de meurtres, de viols, d'agressions, de guerres, c'est maintenant à moi de les préserver.

A nous, devrai-je dire.

Je crains juste que ce poids ne soit trop lourd à porter.

Le danger est partout où sont les mythes, autrement dit le danger est partout, point. Sans compter ce qu'il adviendrait si nous ne ramenons pas le pendentif à Éphèse...