Chapitre onze : Mila

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Emily Dickinson à écrit :

"Folles nuits, folles nuits !
Si j'étais avec toi
Ces folles nuits seraient
Notre luxure !
Ridicules, les vents,
Pour un coeur au port,
Fini le compas
Finie la carte !
Ramant dans l'Eden
Oh! La mer !
Si je pouvais amarrer, ce soir
En toi !"

    Je crois en être au stade où je rame encore dans l'Eden et que je n'arrive pas à trouver un port où amarrer. Je me suis perdue sous l'arbre. Ai-je croqué la pomme ? Ai-je fait sombrer mon monde ? Le serpent est-il venu siffler à mes oreilles ? Qu'ai-je fait pour contrarier Dieu ? Est-ce parce que j'ai fuis ? Est-ce parce que j'ai osé manger l'hostie avant ma communion ? Je ne sais plus, je suis perdue. Qu'est-ce que je fais encore là ?

    Luka arrête la voiture et regarde devant lui. Il ne bouge pas. Il reste assis et regarde. Je fais pareil. Le jour s'est levé. On a passé la frontière. On a traversé l'Allemagne pour arriver à Düsseldorf. Le trajet dure normalement un peu plus de sept heures, il en a mis cinq. Il est cinq heures du matin et nous sommes garés à l'aéroport. Est-ce qu'on va vraiment rentrer ? Pour aller où ? Faire quoi ?

    Il sort de la voiture et s'allume une cigarette. Qu'est-ce qu'on fait ? Je n'ai plus de téléphone, plus de vie. Je prends l'enveloppe que Franck m'a donnée. Il y a un mot, un passeport, une pièce d'identité allemande et une carte de crédit. Tout est mis au nom de Julia Müller.

Le connard !

Il me donne son nom de famille. Il n'a pas voulu que l'on porte le même pendant que l'on était mariés et maintenant qu'il est mort, il m'offre cette possibilité. Qu'il ne refasse jamais surface ! Pour qui il me prend ? Qu'il aille se faire voir. Je ne suis pas une fille que l'on manipule comme un pantin.

    Je sors de la voiture en claquant la portière, attrape mon sac et range ces papiers bien au fond. Je ne m'appellerai jamais Julia Müller. Je n'en ai rien à faire de son mot. Il n'est plus personne. S'il refait surface ça veut dire qu'il m'a laissé faire la pute pendant trois ans. Il a plutôt intérêt à être mort et dévoré par les vers.

- Mila !

    Qu'ils aillent tous se faire voir ! Je n'ai besoin de personne. Si je dois mourir alors je mourrais. De toute façon, je n'ai plus personne alors à quoi bon rester sur terre ? Eryne a Nate. Maya a sa vie. J'en ai marre de voir les gens mourir autour de moi, de m'attacher aux mauvaises personnes alors je plante devant le comptoir et demande :

- Un billet pour New York.

- Deux.

La guichetière nous regarde mais j'ignore Luka. Il me suivra s'il veut, je m'en fous. Maintenant c'est moi et seulement moi.

- Tous nos vols passent par Londres.

- Alors un billet pour aller à Londres.

- Deux.

    Elle nous regarde à tour de rôle mais je fais jouer mes ongles sur le comptoir pour montrer mon impatience. Je sens que je l'énerve mais moi aussi, je commence à m'impatienter. Chacun sa merde, chérie.

- Trois cents euros. Il part dans une demi-heure.

    Parfait. Juste le temps de passer la sécurité. La sécurité ! Merde. Ma robe. Je paye les billets et m'empresse de rejoindre les toilettes. Il y a des caméras de sécurité partout. Je sors tout de mon sac, jette mes produits cosmétiques, vérifie que je n'ai absolument rien qui pourrait freiner la sécurité, mais surtout rien qui ne me fasse vider mon sac. J'ai laissé mon arme dans la voiture.

    Je ressors des toilettes en transe mais Luka m'attend, toujours dans son costume mais des lunettes de soleil sur le nez. Je devrais faire la même chose vu les yeux rouges que j'ai. On a fait tout le trajet en silence. Il n'a rien dit après ma crise.

[L.3] LOVE & POETRYWhere stories live. Discover now