53 - Blanche

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En sortant de ma séance chez le psy je rallume immédiatement mon téléphone et aussitôt il me vibre dans les mains. Maître m'appelle. Toujours ponctuel, il connaît mon emploie du temps par cœur et sait dont quand je sors de la séance, et quand je rallume mon portable.
Je décroche.

-Allô Maître?
-Oui. Ta séance s'est bien passée?
-Plutôt oui. Je n'ai pas pleuré en tout cas et je me sens... assez bien. Votre journée se passe bien?
-Disons que je suis pressé qu'elle se termine. Tu te souviens que nous accueillons Séraphine ce soir?

Comment aurais-je pu oublier...

-Oui bien-sûr Maître.
-Je ne lui ai pas encore donné d'horaire. Et justement. J'aimerais que tu ailles la chercher et la ramène chez nous. Je ne veux pas qu'elle ait le temps de se préparer, je veux qu'elle soit elle-même. Et en plus, si Ysée a pu être seule à seule avec elle, ce n'est pas ton cas, et j'aimerais que vous appreniez à vous connaître.
-La chercher?
-Oui. A l'école où elle travaille. Elle termine dans trente minute. Pile le temps qu'il va te falloir pour y aller. Dès que nous aurons raccroché je t'enverrai l'adresse par message.

Cette idée est loin de m'enchanter... Mais je ne suis pas sa soumise. Ses demandes sont des ordres.

-Bien Maître.
-Et sois de bonne foi, ne te braque pas et sois gentille avec elle.
-Oui Maître... A quelle heure rentrez-vous ce soir?
-Pas trop tard. Je te tiens au courant. Je t'embrasse, à tout à l'heure.
-À tout à l'heure...

Il raccroche. Je regarde mon écran: l'adresse est déjà envoyée. Je pousse un long soupire. J'espère vraiment que ça ne va pas être trop gênant de nous retrouver seules l'autre avec l'autre. Et j'espère qu'elle aussi sera gentille...
Et si elle refuse de me suivre? Si elle pense que je mens? Maître va-t-il me punir pour avoir faillit à la mission qu'il m'a confié?!

Je prends le RER et marche, et comme il l'avait prédit, j'arrive à 16h30 devant son école.
Les portes sont déjà ouvertes et les parents agglutinés devant la sortie. Il y a tellement de monde... je déteste ça. Au moins, avec ses cheveux je devrais pouvoir la repérer facilement.
Plus je m'approche, plus je me rends compte que la foule ne bouge pas, au contraire, elle semble figée. Que se passe-t-il?
J'approche encore, et des cris me parviennent. Une seule voix. Masculine. Et des insultes.
Je me faufile entre les parents et les enfants et là, j'aperçois l'énorme chevelure rousse de Séraphine. Et face à elle, un homme que je ne vois que de dos. Il y a une petite fille à côté de lui, qui semble encore plus tétanisée que tout le reste de la foule.
Séraphine ne bouge pas. Elle semble faite de cire, irréelle. Et c'est la première fois que je réalise à quel point elle est belle. Bien-sûr j'avais déjà vu sa beauté, mais là quelque chose est différent. Et elle ne me fait plus peur. Elle semble... être quelqu'un de bien.
Les insultes de l'homme sont si immondes, si violentes, si méchantes. Pourquoi les gens sont-ils si méchants? Qu'a-t-elle fait? Est-elle coupable? A-t-il raison? Je n'en ai aucune idée. Et pourtant j'ai l'impression que non, elle n'a rien fait, et qu'elle a simplement besoin d'aide. Lui n'est pas quelqu'un de bien. Il veut lui faire du mal.
Et d'ailleurs, peu importe le pourquoi du comment. Maître m'a demandé de la ramener chez nous, et c'est tout ce qui compte.
Le temps s'allonge. Les insultes continuent. Et personne ne bouge. Pourquoi personne ne bouge? Personne n'a jamais bougé pour moi de toute façon, ça ne devrait plus m'étonner.
Maître saurait quoi faire. Ysée aussi saurait quoi faire. Mais il n'y a que moi. Ce n'est pas moi qui sauve les gens, je n'ai même pas été capable de me sauver moi-même.
Le visage de Séraphine est si livide. Chaque insulte semble transpercer son corps d'un nouveau coup de dague. Elle se vide de son sang, là, sur le trottoir. Et personne ne réagit.

Dans un élan de courage que je ne me reconnais pas, je sors de la foule, pose ma main sur l'épaule de l'homme (qui est pourtant si grand par rapport à moi) pour qu'il se retourne. Et lorsqu'il se retrouve enfin face à moi, sans réfléchir, je balance mon genoux dans ses couilles le plus fort que je peux.

« Toujours viser les couilles » me répète sans cesse Ysée.
La leçon a été mise à exécution.
L'homme est à genoux sur le trottoir, et tous les regards se tournent vers moi, choqués, dont celui de Séraphine, qui semble encore totalement sous le choc.
Maître saurait quoi faire! Ysée saurait quoi faire!

Je panique.
Je saisis Séraphine par le poignet et l'entraîne avec moi loin de la foule. Elle se laisse faire, comme incapable de pendre la moindre décision, et nous disparaissons au coin de la rue.

Menottes et Panache (en pause) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant