Sous Tutelle

Chapitre 44

Lorsqu'il descendit de son camion, après avoir aidé à charger une nouvelle cargaison, puis à la livrer dans le centre de Darwin, Dan le dévisagea longuement, puis il lâcha, comme si ça n'avait pas la moindre importance.

— Si tu cherches un endroit correct où dormir, il y a une auberge de jeunesse ouverte aux adultes.

— Merci beaucoup. Je vais y passer.

L'homme lui tendit la main pour la lui serrer.

— Tu t'appelles comment ?

Drago hésita une fraction de seconde, prêt à employer le nom qu'il utilisait depuis sept ans. Il se reprit rapidement et il sourit avant d'annoncer sans réfléchir.

— James.

Dan hocha la tête avec un sourire amical.

— Dans ce cas, bonne chance à Darwin, James. Peut-être qu'on se reverra.

Drago hocha poliment la tête, mais il savait déjà qu'il ne recroiserait jamais cet homme. Il regarda le camion partir, puis il regarda autour de lui pour se repérer.

Avant même d'aller vérifier s'il pouvait dormir à l'auberge de jeunesse mentionnée par Dan, Drago chercha l'endroit d'où partaient les croisières.

Après avoir longuement tourné en rond, il découvrit que plusieurs navires de croisière feraient escale à Darwin. Il élimina immédiatement ceux qui se dirigeaient vers l'Europe et il décida de tenter sa chance sur un bateau qui se dirigeait vers l'Indonésie.

Drago se retrouva devant une femme à l'air revêche, dans la quarantaine, qui le dévisageait, les yeux plissés, méfiante. Il déclara posément chercher du travail sur un bateau et il assura qu'il était pleinement motivé.

La femme renifla d'un air méprisant et croisa les bras sur sa poitrine ample.

— Motivé. Bien évidemment. Tous ceux qui veulent profiter d'une croisière à l'œil me font le même discours. Vous n'êtes pas le premier à venir vous présenter ici !

Drago ouvrit la bouche, prêt à protester, mais elle leva la main pour lui imposer le silence.

— Si vous imaginez qu'en tant que membre du personnel vous avez le droit de profiter des installations réservées aux passagers ou de faire la fête, oubliez immédiatement. De la même façon, aucun escort n'est admis. Ce sont des croisières honnêtes, pas des maisons de passe !

Le jeune homme rougit profondément et il secoua la tête violemment, horrifié qu'elle puisse imaginer qu'il veuille vendre son corps, son optimisme disparaissant petit à petit.

— Je veux juste trouver un travail et j'aime voyager. Je n'ai pas l'intention de faire la fête non plus, ce n'est pas vraiment mon style.

La femme roula des yeux, sans sembler impressionnée. Puis, elle soupira.

— Très bien. Disons qu'il nous manque quelqu'un pour le ménage des cabines. Si votre travail ne donnait pas satisfaction, vous seriez débarqué à la première escale. Présentez-vous d'ici une semaine, le capitaine vous recevra et il décidera s'il accepte de vous prendre à bord ou non.

La gorge nouée, Drago hocha la tête.

— Merci.

La femme fit une grimace et secoua la tête.

— Ne me remerciez pas. Si ça ne tenait qu'à moi, je n'accepterais pas les embauches de dernière minute, c'est toujours source de problèmes.

Plutôt que d'essayer de convaincre la femme de sa bonne foi, Drago resta silencieux et quitta les lieux lorsqu'il fut congédié.

Heureusement pour lui, les informations de Dan étaient exactes : il trouva une place dans l'auberge de jeunesse pour une somme raisonnable. L'endroit était propre et bien tenu, mais Drago avait désormais une longue semaine à tuer avant de pouvoir quitter l'Australie.

Le lendemain, il s'accorda une journée pour visiter Darwin et il s'offrit même un passage à Crocosaurus Cove, un parc animalier où il put découvrir les crocodiles de mer notamment. Les serpents présentés lui firent penser à Harry et il songea que le jeune homme aurait probablement trouvé le moyen de discuter avec eux... et probablement de vouloir les libérer de leur captivité.

Penser à Harry le rendit mélancolique et il se retrancha dans sa chambre à l'auberge de jeunesse pour y broyer du noir. Il se demanda s'il oublierait un jour Harry et s'il arriverait à vivre sans avoir l'impression d'être poignardé en plein cœur. Cependant, l'idée même d'oublier Harry le plongea dans une spirale de souffrance et de panique.

Après une mauvaise nuit, Drago chercha du travail sur Darwin, refusant de passer le reste de la semaine à se complaire dans son malheur. Il avait l'impression que s'il réfléchissait trop à la situation, il finirait par se convaincre de rentrer en Angleterre pour rejoindre Harry. Il avait toujours été faible face au jeune homme, il en était pleinement conscient.

À l'autre bout de la terre, la situation lui semblait bien moins dramatique qu'elle avait été en Angleterre et il doutait soudain du bien-fondé de sa décision de disparaître.

Harry lui manquait, bien plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. Penser à lui devenait douloureux et Drago s'épuisa pour cesser de se torturer, pour avoir un peu de répit. Ses rêves étaient emplis du jeune homme, mais il était si fatigué qu'il les accueillait avec plaisir, se réveillant mélancolique le matin.

Par chance, le capitaine du Lapérouse, le paquebot de croisière, était bien plus sympathique que la femme qu'il avait rencontrée en premier lieu.

Après une longue conversation, Drago obtint le travail et il eut juste le temps de retourner chercher ses affaires avant d'embarquer. En effet, le capitaine semblait vouloir le mettre à l'épreuve et il devait se rendre sur le bateau avant l'arrivée des passagers, pour participer aux derniers préparatifs et apprendre ce qu'il aurait à savoir sur son nouvel environnement pour les douze prochains jours.

Le jeune homme travailla d'arrache-pied pour prouver sa valeur et obtenir le poste. Après avoir aidé à briquer chaque cabine de l'immense paquebot, Drago fut heureux de se voir attribuer une minuscule cabine, prouvant qu'il serait du voyage.

Contrairement à de nombreux collègues, Drago resta enfermé dans sa cabine au moment du départ. Même si l'Australie ne représentait rien pour lui, rien qu'une étape, le départ du Lapérouse était le rappel qu'il passerait le reste de sa vie à fuir.

Drago avait craint d'avoir le mal de mer, mais il s'habitua rapidement aux mouvements du bateau. Il prit rapidement le rythme, travaillant dur jusqu'à tomber d'épuisement. Si ses rêves étaient remplis de souvenirs de Harry, désormais, il était trop fatigué lorsqu'il s'endormait pour s'en souvenir au petit matin.

Lorsque Drago fut convoqué par le capitaine, juste avant leur arrivée en Indonésie, son cœur se serra et il pensa avoir fait quelque chose de mal. Lorsqu'il se souvint qu'il était sur un bateau en pleine mer et qu'il ne pouvait pas fuir s'il était démasqué, la panique le submergea un instant, juste avant de se résigner à son sort... une fois de plus.