Chapitre 3 - Le bouquiniste

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François avait l'habitude de prendre ses livres chez un bouquiniste du coin.

L'enseigne s'appelait "Ivre de Livres" !

Il s'était étrangement lié d'amitié pour ce vieux monsieur bourru qui partageait avec lui sa passion dévorante.

Il y avait dans sa boutique une odeur de poussière, de vieux papiers, de vin rouge aussi. Ce bouquiniste, qui avait plus l'air d'un antiquaire, taquinait la bouteille depuis fort longtemps.
En témoignaient son haleine mais aussi le bazar farfelu de sa boutique. C'était le chaos.

Un peu comme chez François, cette boutique était un fatras de pages et de livres et de romans de tous âges et de toutes provenances où une chatte ne retrouverait pas ses petits !
Mêlée à ça quelques toiles d'araignées impressionnantes et inaccessibles qui donnaient un air de vieux château fort abandonné à ce lieu hors du temps.

Derrière son bureau qui lui servait de comptoir et d'accueil il recevait les quelques énergumènes qui se seraient perdus dans cet endroit par amour des lettres ou juste pour un renseignement.

L'atmosphère était lourde. Un écrasant silence régnait en maître dans cet endroit. On y était souvent mal à l'aise et l'accueil froid du tôlier finissait de vous glacer le sang et vous faisait vite tourner les talons.

Malgré cela, ou à cause de cela, François s'y sentait comme chez lui. La forte odeur du vin ne le gênait pas et au contraire lui rappelait celle du vin que buvait son père.

Il connaissait cette boutique comme sa poche. Il savait où chercher tel ou tel livre, tel ou tel auteur. Il a même pensé à y travailler tellement il s'y sentait bien...
Mais le gérant avait déjà un employé, à mi-temps, qui rangeait comme il pouvait les arrivages et tentait de mettre un peu d'ordre dans ce champ de bataille.

Un jour que François venait le voir pour fouiner et dénicher une autre perle rare (qui lui ferait encore oublier tout son quotidien de misère), comme un camé vient chercher sa dose, le maître des lieux lui lança d'un ton péremptoire :

- Dis donc François ! Ça te dirait de venir m'aider quelques jours à ranger ? J'ai besoin de main d'œuvre ! L'autre d'avant il est parti ! Tu sais celui qui rangeait comme un souillon !

François était estomaqué et enchanté par cette annonce balancée comme ça à brûle pourpoint.

Il était à la fois surpris et heureux.

Il pensait qu'il ne pourrait jamais avoir ce poste puisqu'il y avait déjà un employé (comme il y en eut d'autres avant..).

Il serait le plus heureux des hommes si son lieu de travail était tapissé de livres comme chez lui.

C'était l'offre de sa vie !
Il allait lui répondre quand le bouquiniste lui jeta un papier à signer sous le nez : c'était un contrat d'embauche à mi-temps, fait à la main sur un bout de feuille déchirée et tachée de vin rouge. On aurait dit un pacte diabolique...

- Te voilà bienvenu chez toi jeune homme ! Lui dit-il en lui tendant le bout de papier un peu froissé et sale.

François n'avait dit mot. Il signa et lui marmonna un "merci Monsieur !" qu'il n'entendit pas.

- Allez ! Tu commences lundi ! Sois devant la boutique à 10h pétantes ! Et sois pas en retard ! T'as tout le boulot de celui d'avant à finir !

C'était abrupt. Mais comme ils se connaissaient, à leur manière, cela se passait de commentaires.

Le rendez vous était pris...François commençait à gamberger...

Stressé par nature de tout et de rien, suspicieux du moindre courant d'air, angoissé voire paranoïaque compulsif, François se rongeait les sangs suite à cette proposition. Cela devrait être l'offre inespérée de sa vie. La chance qu'il n'aurait jamais pensé avoir.

Mais il était très mal à l'aise. Et la petite voix s'affolait dans sa tête. Elle tournait en boucle comme un Démon Renard en cage. Elle lui envoyait mille piques en même temps :

- Pourquoi il m'a pris dans ce job ? Pourquoi s'est-il comporté comme ça, de façon si dure, froide et dominatrice envers moi !? Qu'attend-t-il vraiment de moi !? Vais-je être à la hauteur ? Va-t-il me virer moi aussi si je ne lui conviens pas ?

Toutes ces questions le harcelaient tout le reste de la journée et toute la nuit. Il ne lut rien cette nuit là. Il ne put pas.

Il était pourtant libre. Il avait été viré de son dernier boulot pour "incompatibilité d'humeur" et "insolence". Juste parce qu'il n'avait pas accepté de faire une tâche qui, selon lui, ne lui incombait pas d'après sa fiche de poste !

Bref on l'avait mis dehors encore une fois.

Et cette proposition du bouquiniste tombait vraiment à pic pour lui finalement.

Malgré sa petite voix qui jacassait comme une vieille commère en sourdine pour l'en dissuader ou pour lui faire au moins peser le pour et le contre, il allait, sans réfléchir, accepter ce job.

Il était décidé. Il se disait :

- C'est le poste de ma vie !

Et il ne pensait pas si bien dire, car il allait, en effet, y laisser sa vie...

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