Chapitre 18 - Le bagne de la Réécriture

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La réécriture est obligatoire pour terminer un manuscrit. Il faut changer son regard sur son texte, chasser les fautes d'orthographe, revoir le style, corriger les temps, les répétitions, les mots faibles, les phrases vides de sens, les incohérences...bref être son propre correcteur. Ce n'est pas facile. C'est là qu'on se rend compte qu'il fallait absolument passer par cette étape ! Cela lui prit quelques jours. On lui apporta ses repas et de quoi faire sa toilette le matin. On le traitait bien finalement ! malgré la pénombre et ses chaînes ! Il avançait vite. Plus vite que l'écriture-même. En quelques jours seulement il eut presque fini ! Il avait un peu changé son histoire et ce travail lui avait fait un bien fou. Il avait élagué, retaillé, replanté, reboisé, resemé. Son texte était maintenant un joli petit jardin avec des allées bien claires, des forêts bien sombres et chaque chose était bien à sa place. En fait, l'isolement contraint avait été idéal !

Il avait fini.
Il appela Gérard comme un élève qui a terminé sa rédaction, ou plutot ici sa punition !

GéGé le geôlier prit le manuscrit sans dire un mot ni montrer aucun sentiment. Il jouait très bien le gardien de prison froid et détaché.
En sortant, il lâcha juste :

- Je vais montrer ça à Emile.

Et il referma la porte à double tour.

François se voyait déjà sorti de sa cave et de ses chaînes et pensait :

- Pourquoi il m'a pas détaché ?
C'est n'importe quoi ! Là ils vont allés trop loin les deux compères ! C'est un jeu qui doit se terminer. C'est tout sauf drôle maintenant !

Mais il fut laissé encore enchaîné de longues heures avant que quelqu'un vienne.

Là c'était Émile qui ouvrit la porte.

- Bon. Mon petit François, je vais pas te mentir. T'es pas trop mauvais comme écrivain ! J'aime bien ton style ! C'est fluide, ton lexique est riche, tes références sont percutantes, tes idées sont vraiment bonnes ! Et là tu m'as pondu un sacré bon roman policier ! Je me suis laissé prendre par ton histoire et j'ai pas pu lâcher jusqu'à la fin ! C'est top ! Je vais l'envoyer à la maison d'édition, comme ça ils auront un truc à se mettre sous la dent et ils me lâcheront un peu ! Ce sera peut-être un best seller ! Qui sait ? En tous cas il le mérite ! Ha ha ha !

Et il repartit en riant très fort et en laissant le jeune auteur en herbe dans le noir et la poussière.

François comprit qu'il ne sortirait pas, qu'il ne reverrait jamais la lumière du jour, et qu'il serait, jusqu'à son dernier souffle, la bête à traire du maître. Ses mâchoires se serrèrent. Un frisson lui parcourut tout le corps. Ses yeux se remplirent de larmes. Il éclata en sanglots. Des sanglots comme il en avait eus dans les pires moments de sa vie. Il avait l'impression que tout était fini, qu'il n'y avait plus aucun espoir et aucune aide ne viendrait. Il se sentait si bête de s'être fait berner de la sorte, de n'avoir rien compris, de n'avoir rien vu venir, aveuglé par son ambition tenace.

Il repensa bizarrement à cette fable de La Fontaine, Le Corbeau et Le Renard,  qui correspondait un peu à son expérience :  à s'être fait berner par la flatterie et voler son butin par sa bêtise et sa prétention, il se disait que :

à ces mots le corbeau
ne se sent plus de joie,
il ouvre un large bec
et laisse tomber sa proie" ! 

Et il se sentit comme le perdant à la fin de la fable :

honteux et confus,
il jura mais un peu tard,
qu'on ne l'y prendrait plus.

Ces pensées ne l'aidaient pas. Il regarda partout autour de lui et ne trouva aune porte secrète, aucune issue. Il essayait de crier à l'aide ! Et là, très vite, Gérard se dépêcha de revenir le bailloner et lui attacher les mains. Il fut si rapidement réduit au silence que c'en fut fini des idées d'évasion.

La journée se passa... puis une autre ...puis encore une autre....les jours se succédaient dans cet enfer de solitude, de saleté et d'abandon, laissant moisir chaque jour un peu plus la fraîcheur de sa jeunesse et la pureté de son espoir. La fleur se fanait. Toute résistance était vaine. Les chaînes étaient trop lourdes et le bâillon trop serré. Aucune chance de retrouver son chez lui...

C'est là qu'il se rendit compte de son pseudo bonheur passé : son appartement, ses livres, sa liberté, sa vie et surtout ce début de lueur d'espoir d'être enfin quelqu'un de reconnu, un écrivain, un auteur, un porteur de rêves !

Alors dans tout son désespoir et sa tristesse il prit une décision :

- Je survivrais par mes livres ! Mes écrits seront ma voix, mon souffle, mon âme. Et même enchaîné ici, je me libérerai de mes chaînes par la force du stylo.

Des semaines passèrent...et François resté rivé dans cet enfer.

Un jour, Émile arriva en trombe voir le prisonnier et lui parla de façon très calme, presque amicale, malgré l'improbable situation :

- Bon. J'ai un marché à te proposer. Mon livre, enfin... Ton livre ! ...marche très bien ! Il se vend du tonnerre ! On va encore faire un best seller !  Et donc je me disais.... que tu pourrais ....hum...refaire ton deuxième roman !  Tu sais celui "à l'eau de rose" ! Ok ? Allez je te redonne ton manuscrit ! Tu le reprends. Tu l'étoffes. Tu le bidouilles comme tu sais faire !  OK ?

Émile voyait la tête fatiguée et triste du pauvre François qui avait perdu des forces depuis le temps qu'il était enfermé là. Il lui dit avec un mélange choquant d'arrogance et de pitié :

- Allez François ! T'as un mois pour me pondre un autre œuf en or ma petite poule ! Après je te libérerai. Et tu me remercieras j'en suis sûr ! C'est pour toi que je fais tout ça tu sais ! Tu te rends pas compte mais dehors t'as déjà un public qui t'attend ! Ils t'adorent ! Sois patient ! Travailleur ! Et tu vas réussir ! C'est un mal pour un bien va !

Il lui tapota l'épaule comme un ami ou un bon patron, et le laissa devant ses feuilles cornées, qu'il devait transformer en feuilles dorées !

Montez !Where stories live. Discover now