Chapitre 30 - La boîte à secrets

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François frémissait de joie mais aussi de peur devant ses propres écrits qui venaient d'un autre âge.

Il pensait qu'ils seraient forcément nuls ou primaires ou démodés ou stéréotypés, gamins, immatures ou juste bons à jeter à la poubelle !

Mais il voulut quand même y jeter un coup d'œil...

Il trouva un carnet dans lequel une multitude de feuilles avaient été rajoutées. Des feuilles blanches en format A4 qui avaient été griffonnéees et repliées à l'intérieur, comme si le cahier ne suffisait pas à tout contenir.

C'était des phrases, des pensées et des textes personnels....des citations d'auteur...des jeux de mots, des idées de romans ou d'histoire. Bref c'était un délicieux bazar où l'on pouvait piocher à foison des morceaux de lui. Sur des petits bouts de papier, écrits à l'âge de 15 ans environ, et collés sur certaines pages on trouvait :

"je me sens des choses à dire, et maintenant je ne veux pas mourir"
...
"La poésie comme des paroles bibliques "
....
"Je sens l'encre lentement monter jusqu'au bout de mes doigts"
...
"Quand une pensée arrive, et reste un instant, comme une comète dans un ciel de Néant, il faut vite que j'écrive et que je mette la gomme"

- un peu d'humour de collégien ! Pensa-t-il

Il retrouva encore d'autres perles :

"La face polie des choses n'est pas leur vérité polyface"

" Coucher en lignes claires les cauchemars et les rêves. Dompter et puis comprendre l'animal qui rode dans le bois de notre être."

François trouvait ça nul et immature. Il avait presque honte de s'être livré de la sorte. Heureusement il n'avait que son cahier comme témoin.

Il tomba encore sur d'autres lignes de son passé :

"L'incertitude, sœur de l'angoisse est mère de la créativité"

Il se dit que c'était tout à fait pour lui ça !

Et il sourit en lisant celui-ci :

" il est grand temps que j'aille voir grand-mère. Elle a grand peine avec grand père. J'irai par la grand rue avant qu'ils n'aient grand mal, et cela leur fera grand plaisir."

- Grand poème !! tout à fait d'actualité ! " chuchota ironiquement sa petite voix qui était revenue !

Là un autre petit papier collé :

"Constamment
doivent me suivre
Pages et crayon
Ou bien les idées
fugitives
S'envoleront."

Il trouva des textes qui avaient même été tapées par lui à la machine à écrire (que lui avait offert sa mère il y a longtemps et qu'il avait perdue au fil des déménagements successifs)

"Parfois des choses me touchent en plein coeur, et monte alors aux yeux une douleur de compassion, d'amour et de naïveté pure, et là je suis surpris, comme un lion qui s'abreuve, par quelque chose en moi qui écoute et qui parle, et que jamais neurone n'aura rencontré. Voilà monter en moi le message muet de liquide émotion, avec tout son cortège de frissons électriques : cette vague puissante qui montait jusqu'aux cieux, bêtement se termine en larme aux bords des yeux."

- Pfffff ! C'est lourd et mal dit ! S'énerva sa petite voix. Trop long ! Trop biscornu !

Là un texte sur la fête des mères*, là un enfilage d'alexandrins*, là un texte écrit comme une chanson sur le mythe de Sysiphe*, ici un poème sur un clochard vu par les yeux naifs d'une fillette*, là, plus drole et plus créatif, un "bohèbe en doir ": (poème en noir, dit par l'entonnoir et avant les mouchoirs" ! *

C'était de tout et du n'importe quoi !

- Tu devais être sacrément perturbé à l'époque ! Marmonna sa petite voix qui devenait agaçante !

Il commençait, malgré tout, à prendre goût à relire tout ce qu'il avait écrit, avec une affection grandissante pour l'enfant qu'il était, son malaise, et son plaisir des mots, qu'il utilisait comme des bouées de secours, des bouteilles à la mer, un échappatoire à sa misère, et surtout comme des jouets infinis.

Il comprenait que ces paroles, ce petit garçon trop sensible n'avait personne à qui les dire, et que les écrire c'était pour lui les crier à la face du monde, comme celui qui dessine sur un mur et qui espère que son dessin sera vu, voire apprécié, ou même mieux : compris !

Il était aspiré dans une transe, pris dans une spirale d'où il ne pouvait, mais surtout ne voulait, pas sortir, tellement il avait compris l'utilité bénéfique de ces mots, petits pansements sur une jambe de bois, petits coups d'épée dans l'eau, pour ce petit garçon mal dans sa peau, mais vrais tsunamis de sentiments et de créativité.

Il se mettait maintenant à dévorer toutes les pages et tous les mots et tous les souffles de ce cahier magique. Et plus il lisait, plus il voyait se dessiner les traits de son passé, avec les yeux de l'enfant qui écrivait, de l'enfant qu'il était.

Là un poème sur "la fleur et l'univers"*, là un autre sur son père dont les lettres des 3 prénoms formaient étrangement le mot D.A.D (papa en anglais) et qu'il avait intitulé : DAD is dead *

Mais un texte eut plus d'impact que les autres, un bien symptomatique de sa tristesse du moment, intitulé "Partir" *:

"Et partir aussi loin
que le cœur alourdi
Lancé par l'envie
Retombera enfin

Et finir de courir
Sur place ou bien rond
Pour enfin découvrir
L'ailleurs de sa prison.

Et ne plus lire des vies
Qu'à travers des pages.
Se délivrer des livres
Et se mettre à l'ouvrage.

Partir sans revenir
Mais pas sans oublier
Que tout notre avenir
se liera au passé

Quitter ces quatre murs
Qui cloitrent nos désirs
Et qui dans leur murmure
Epient tous nos plaisirs

Quitter ce plafond bas
Et ce plancher miteux
...
Juste en s'alleongeant là
Et en fermant les yeux"

- wow ! Fit la petite voix ! Wow ! wow ! wow ! Celui là il est balèze ! C'est tout toi ça ! C'est tellement ce que tu vis ! Incroyable de voir que tout est là ! Dans ce texte que tu as écrit y a plus de 10 ans ! Dingue !"

François était tout retourné. Ces mots le rendaient tout chose, tout songeur, tout ému, tout en réflexion. Le temps s'était arrêté.

C'était juste des lettres sur une feuille, comme des pas dans la neige, mais ce petit poème avait mis le feu aux poudres et avait eu l'effet d'une dynamite en lui.

Il avait retrouvé l'intensité d'une ligne de mots, l'étincelle des rimes, le frisson d'une bonne phrase. Il avait retrouvé cette magie, cette alchimie délicate où les sons et les sens se mélangent, où le cerveau et le corps se fondent et se liquéfient devant la pureté cristalline d'un poème.

Il avait en somme compris QUI il était, POURQUOI il écrivait étant jeune, pourquoi il avait écrit pour les deux affreux de la bouquinerie, et pourquoi il continuerait à écrire toute sa vie, jusqu'à son dernier souffle, jusqu'à sa dernière goutte de sang, jusqu'à sa dernière goutte d'encre.

C'était en lui. C'était sa façon de s'exprimer, de jouer, de vivre, de voir la vie, d'aimer et de haïr. Pour lui, tout passait par l'écrit.

Et il continuait fiévreusement à se délecter de ces mets anciens, à dévorer ces pages jaunies et cornées, mais si pleines d'un cœur débordant d'amour et de tristesse, le sien.

Montez !Where stories live. Discover now