Chapitre 4 - Le grand écrivain

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Le bouquiniste connaissait tout le petit monde de l'édition.

Des grandes boîtes aux petits éditeurs indépendants, il avait ses entrées partout.
Il avait surtout le regard braqué sur celui qui lui faisait faire le plus de ventes : l'écrivain génial du moment, que les ménagères de plus de cinquante ans s'arrachaient, Émile Facet.
Cet homme avait déjà écrit deux best-sellers et en préparait un troisième, mais il semblait être en manque d'inspiration..

Il s'était un peu reposé sur ses lauriers après ses deux coups de génie. Là le public attendait un nouveau coup de semonce du grand Émile. Mais rien. Pas de projet. Pas de pub pour un nouveau livre. Le vide total.

Comment était-ce possible ?
Le syndrome de la page blanche ?
Le manque d'idées, d'inspiration ? Ou juste une pause stratégique et commerciale pour faire durer le suspense ?

Le bouquiniste n'en pouvait plus d'attendre ! On aurait dit son éditeur ! Il l'appelait tous les quatre matins pour lui demander de ses nouvelles. Pas de sa santé mais de ses écrits ! De son futur roman ! Son troisième était tellement désiré partout qu'on ne pouvait plus attendre ! Surtout le bouquiniste qui faisait une belle marge à chaque vente !

Mais le grand écrivain répondait à tous en rigolant :

- Rien ! Rien à l'horizon ! Rien de neuf sous le soleil !

François connaissait cet Émile de renom. Il avait dévoré ses deux romans si brillants. Mais il trouvait que ses mots n'allaient pas....ne correspondaient pas à l'auteur, que c'était presque les mots d'un autre...

Il avait tellement lu d'œuvres diverses et variées qu'il n'aurait jamais fait correspondre ces deux textes-ci avec cet auteur là.
Émile était populaire et extrêmement médiatisé. Beau visage, belle voix, la quarantaine. Une femme à chaque bras sur chaque photo dans Voici ou Paris Match ! Il passait très bien à la télé ou la radio. Ses deux romans : La Belle Camille et Plus loin Ensemble se sont vendus à des milliers d'exemplaires.

Il avait dans le premier le style fougueux d'un jeune homme débordant d'amour et plein d'entrain. A chaque phrase jaillissait des saillies verbales frappantes et mémorables ! Une verve presque juvénile ! A la limite de l'adolescence ! Des rêves plein la tête ! Dans le second on avait un style plus grave, plus sérieux, plus froid, comme si cela venait d'un autre auteur..

C'était étrange de voir ce créateur si différent de sa création, si éloigné, si incohérent. François trouvait que l'auteur était, pensait il, de son âge d'après ses références culturelles, son langage, ses pensées, et son phrasé. Mais quand Émile, lors de ses interviews, parlait de ses deux livres, François trouvait qu'il en parlait comme si elles n'étaient pas de lui ! Une fois, il n'avait même pas su que tel passage était dans son livre ! Comme si quelqu'un d'autre l'avait écrit à sa place !

François trouvait surtout que cet "Émile Facet" (pseudo d'écrivain qu'il trouvait ridicule) se vautrait trop dans l'argent, le luxe et la gloire que lui procuraient ses deux œuvres ! C'était presque indécent ! Comme illégitime ! Les fêtes, les cocktails, les jets privés, le faste, tout cela était trop !

Il aurait aimé le rencontrer enfin.

Cela ne tarda pas.

Et le choc fut frontal.

Montez !Where stories live. Discover now