Chapitre 7 - L'étage

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S'il avait su.

S'il avait compris ce qui se tramait, il serait vite parti de cette boutique infecte et morbide en courant.
Mais malgré sa connaissance de l'âme humaine au travers de ses lectures, il ne vit rien venir.

Il était surtout subjugué par le personnage d'Émile. Comment pouvait-on adorer l'œuvre et détester l'artiste ? Cela restait un mystère à percer pour lui. Il se voyait déjà comme Holmes, Poirot ou Maigret, excité comme un chasseur qui traque sa proie et se rapproche de son terrier, sauf que la proie, dans ce jeu de dupes, c'était lui.

Pendant que le jeune enfant était perdu dans ses pensées, les adultes discutaient dans la chambre de bonne où vivait Gérard.

Le bouquiniste avait bien une maison en ville, un peu plus loin dans le village, où vivait sa femme. Mais ils étaient séparés et ne se voyaient plus guère que pour la pension alimentaire ou la garde des enfants. Il vivait comme un ermite au milieu de ces livres comme un SDF sur ses cartons.

Émile et Gérard avaient une conversation houleuse et sonore à l'étage. Soudain on entendit un hurlement d'Émile :

- "Yiiiahhh ! Allez ! On y va !"

Émile ouvrit la porte violemment, chercha son préféré du regard, et une fois dans son viseur il lui assena un :

"Montez ! Montez jeune homme ! Je ne vais pas vous manger ! "

François eut un frisson de terreur. Les doutes, les questions, la peur de l'inconnu, tout ce mystère épais qui entourait cet homme le torturaient. Il eut envie de courir dans la direction opposée mais son corps était figé.

Il voulait aussi en savoir plus. Il voulait comprendre. Il fallait qu'il monte. Tant pis.

Cet escalier jurait avec le reste du décor miteux. Les boiseries de la rambarde et le faux marbre des marches, c'était trop de luxe pour l'endroit !

On aurait dit une pièce rapportée.
En montant toutes ces hautes marches, qui semblaient interminables et infinis comme celles de l'escalier d'Escher, on se serait cru dans un film d'Alfred Hitchcock avec cette forme terrifiante qui nous attend en haut et qui se jette sur vous !

La scène de Psychose l'avait marqué à vie. Là haut, ce n'était pas Norman Bates déguisé en sa mère avec un couteau qui l'attendait, mais un homme déguisé en écrivain qui avait, lui aussi, un côté sombre.

Émile aida notre novice à monter la dernière marche en le prenant par l'épaule comme un père l'eut fait pour son fils. C'en était presque familier.

François sentit sa grande main glacée dans son dos et fit un pas pour s'écarter de cette pression qu'il ne ressentait pas comme aidante. Il faillit du même coup chuter du haut de l'escalier. Émile le retint cette fois fermement par le bras, empêchant le jeune homme de se briser la nuque arrivé en bas.

- Hé ben ! Ne nous quittez pas comme ça, jeune homme ! Pas maintenant ! Dit amicalement Émile.

- m..erci M...onsieur ! Balbutia  François tout effrayé.

Émile plein de colère lança d'une voix forte :

- Mais arrête avec tes "Monsieur" je t'ai dit ! C'est pas possible ! On est amis maintenant ! Et en plus je t'ai sauvé la vie ! Alors tu m'appelles Émile...ou je te pousse vraiment dans l'escalier ! Et un sourire sadique s'affichait sur son visage.

François ne savait plus où se mettre. Un petit trou de souris lui aurait bien servi de refuge. Il était entre la honte et la peur, et toujours avec ce mystère à résoudre : qui était vraiment Émile ?

Cela dit il était en haut, et vivant ! Le grand Émile était derrière lui, et le gros Gérard vautré sur un fauteuil gris, face à lui.

Ça sentait le coup fourré...

Montez !Where stories live. Discover now