21| RANCŒUR BAFOUÉE

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Présent

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Présent

         Il y a toujours un début, souvent accompagné d'une fin. Je regrette, mais cette fois-ci, je repousserai encore notre fin. C'est pour ça qu'elle va me rejoindre, elle me rejoindra, car elle la repousse aussi. 

En faisant preuve de délicatesse, je pousse la porte du club d'art. Ce serait bête de tomber sur quelqu'un à cette heure-ci. Mon coach, monsieur Hurst, m'a assuré que, la plupart du temps où je serai libéré dans mon emploi du temps, la salle serait vide. Hormis lors du créneau après la pause méridienne. C'est le seul moment où c'est susceptible d'être bondé d'autres personnes. 

En m'infiltrant dans la pièce, j'examine l'endroit plus proprement. Il y a plusieurs rangés d'établis tous montés sur de puissantes barres en aciers noirs. Au-dessus la surface boisée est rudement éraflée, des restes de peintures ont fait gondoler la planche. Je retire mon blouson et le pose sur l'une d'entre elles. Les tables sont travaillées, si bien que des trous saillent certaines des plus endommagées. 

Tout en me baladant les mains dans les poches au milieu des tables, je prends note de l'odeur de la colle qui embaume toute la salle. Lorsque je m'approche d'une des fenêtres, j'y tire le rideau pour laisser le soleil poursuivre sa course dans la pièce. J'ai caché mon tableau ici. Il est coincé parmi d'autres œuvres entre une vieille armoire en bois et des étagères. 

En reluquant de loin l'endroit où est entreposée ma toile, la table pliante posée maladroitement dessus me semble bancale. Ses pattes repliées s'appuient contre le mur par une installation dangereuse. Je m'y précipite presque et tente de remettre de l'ordre dans le bordel laissé par ce que je déduis être les premières années. Aussitôt, des nœuds entortillent mes coudes protégeant ma chemise. 

J'espère que Lucrèce viendra. Qu'elle tiendra parole pour une fois et qu'elle me rejoindra. 

Une fois la table bien entreposée, plus à la verticale. Mais en diagonale, maintenue au pied par les autres tableaux. Mes mains tâtent le terrain pour voir si elle va s'effondrer. Je sursaute en entendant la porte grincer. En me retournant pour identifier l'intruse, je me retrouve confronté à des cheveux noirs tressés ainsi qu'une expression orageuse. 

Je reconnais bien Lucrèce dans tous ses états, divisée entre l'envie de me gifler, et celle de m'ignorer. Ça lui va si bien, les nattes. Je l'admire quelques instants avant de reprendre ce que j'étais en train de faire. Ma toile en main, je pars me glisser près d'elle.

— C'est vraiment ce que tu comptes faire ? demande-t-elle, en tirant un tabouret en dessous d'un des établis, pour venir s'y asseoir. 

Je pose sur la surface le tableau, ou à son coin réside encore la marque de son rouge à lèvre.

— Pourquoi je t'ai demandé d'apposer ta marque avant de les peindre réellement, à ton avis ? l'interrogé-je, curieux de connaître sa réponse. 

Elle pince ses dites lèvres et s'arme de son fidèle regard gorgé d'objurgations. Son unique pensée flotte dans l'air, la mienne s'est perdue dans le néant de ses yeux. Je n'ai jamais eu peur des abysses, et encore moins de ceux qu'elle m'inspire. Lucrèce est d'une profondeur révolue, impossible de retrouver ces yeux puissants chez d'autres chimères.

BRITOMARTISWhere stories live. Discover now