25| POIS DE SENTEUR

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Présent

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Présent

    On escompte des morts qu'ils répondent à des questions qu'on n'osait pas leur poser de leur vivant. J'ai toujours trouvé cruel de regretter des paroles jamais dites, c'est vrai, qu'avons-nous à offrir de plus que de lamentables remords ? De là où ils reposent, dans la terre humide, enfermés dans une triste boîte de bois. C'est certain qu'ils ne veulent pas nos échos navrés.

Aux alentours de 7 h 30, je défais mes gants en cuir, tiraillant sur les doigts pour retirer le bout. Une fois ma paire en main, je l'enfonce dans la poche de ma veste en cuir. En retroussant le col d'aviateur de celle-ci, j'en profite pour réajuster ma cravate. 

Je décroche mon casque, en extrayant ma tête, ma respiration crée un petit nuage de fumée. Les matinées sont encore fraîches, malgré les rayons de soleil à l'orée des bois, dessinant dans d'agréables reflets orangés la cime des arbres autour du cimetière.

Ma béquille dépliée, je descends de la Keeway et l'abandonne sur le petit parking. Je ne prends jamais de fleurs avec moi, parce que le parc naturel qui borde le cimetière en regorge. C'est une sorte de tradition, de me balader dans les hautes herbes afin de dénicher quelques fleurs qui viennent d'émerger. 

Ma mère ne supportait pas que l'on aille chez le fleuriste alors que ce n'était pas la saison, les fleurs étant importées, elle préférait passer devant en me désignant les quelques fleurs qui — d'après elle — étaient de la réelle saison. 

Je me détourne du portail pour progresser sur l'herbe, la rosée matinale fait glisser des gouttes sur mon passage. Mes doigts sont glacés, je préfère remettre mes gants. L'une après l'autre, je tire des tiges, quelques pâquerettes, des narcisses,  des voisines plutôt jolies. J'arrache les dernières feuilles sur les arbustes. 

Plus tard, je me dirige ensuite vers le portail, pousse le portique et chemine à travers les pierres tombales afin de trouver celles de ma mère. Une sépulture classique avec stèle. Il y a gravé, Bronte Radford, 22 mars 1981 — 19 décembre 2021 Femme et mère aimante.

Mon père n'aurait jamais dû choisir. 

Je soupire en posant ce que j'ai récolté sur la tombe.

— Depuis le temps, tu dois avoir appris à ne plus lui en vouloir, m'adressé-je à la pierre stoïque. 

Je m'apprête à m'agenouiller devant elle, soudainement mon attention est attirée par un bouquet posé là, bien avant moi. Vu l'humidité qui se dégage de l'emballage alambiqué, il a certainement passé la nuit ici.

Qui a bien pu déposer un bouquet de fleurs ? 

Mon père me missionne chaque 22 mars, jour de l'anniversaire de ma mère, pour lui rendre visite. C'est à peine s'il arrive à passer le portail. La dernière fois, Eldon Radford n'a pas réussi à sortir de la voiture, les yeux grouillant de larmes et les pieds tremblants. Hormis moi-même, je ne vois pas qui passerait rendre visite à Bronte Radford.

BRITOMARTISWhere stories live. Discover now