Chap. 2

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-Tu es contrarié.
-Non.
-Ce n'était pas une question, répond doucement Colombe.

Les deux jeunes amants marchent côte à côte sur le chemin qui reconduit au village, mais Anastase est silencieux, bien plus que d'habitude, et Colombe devine parfaitement que c'est à cause de leur discussion sous les arbres arrachés.
Elle n'aime pas le savoir triste ou fâché, alors elle dit une vérité qu'elle espère le consolera:

-Si je devais me marier, c'est avec toi que ça serait.

Anastase s'arrête et la regarde avec espoir:

-Alors faisons-le!
-Non. Je ne veux épouser personne. Pas même toi, dit-elle en reprenant la marche.
-Tu sais que je ne t'empêcherais jamais d'étudier, lire et sortir où tu le souhaites... Je ne veux pas te mettre dans une cage, je veux juste être avec toi.
-Alors pourquoi n'es-tu pas heureux maintenant? Nous sommes ensemble. Autant qu'un couple marié le serait.
-Non justement. Nous devons nous cacher, nous retrouver en secret dans la forêt pour nous aimer. J'en ai assez. Je veux être avec toi au grand jour.

Colombe sait que ce débat ne mènera nulle part. Ils n'ont pas le même avis, et cela ne changera pas. Elle n'ajoute donc rien et ils arrivent près du village.

-Pars devant-moi, je vais marcher doucement, pour qu'on ne nous voit pas arriver ensemble.

Anastase pousse un long soupire de frustration mais obéit et accélère le pas.
Lorsque Colombe estime la distance suffisante elle repart, et rentre chez elle.
A peine franchie le seuil de sa porte, sa petite sœur se précipite sur elle, en larmes.

-Où étais-tu? On t'a cherché partout!
-J'étais dans la forêt, que se passe-t-il?
-C'est Tante Adeline! balbutia Agnès, la lèvre tremblotante.

Aussitôt, Colombe et sa cadette se précipitent à l'étage, dans la chambre de leur tante, où cette dernière gémit de douleur dans le lit, gesticulant maladroitement comme si elle voulait se battre contre la couverture.

-Tante Adeline! Tu m'entends?! Regarde-moi, supplie Colombe en attrapant la main de sa tante.

Mais cette dernière ne l'écoute pas, ne l'entend pas, ne la voit pas.
Colombe et Agnès, respectivement âgées de vingt-deux et quinze ans, ont été élevées par leur tante et leur oncle à la mort de leurs parents lorsqu'Agnès n'était encore qu'un bébé. Leur oncle est lui aussi mort peu de temps après de la même maladie qui avait emportée leurs parents. Adeline prit soin de ses nièces comme s'il s'agissait de ses propres filles. Elle leur appris à lire, tout comme sa propre mère le lui avait appris, ce qui était bien rare pour les femmes, d'autant les femmes paysannes. Grâce à ce savoir, Colombe pu lire des textes dans le couvent du village, lorsque l'une des nones la laissait rentrer discrètement. Elle avait ainsi appris la géographie, l'Histoire, le latin et l'anglais. Mais ce qui manquait d'après elle cruellement à cette bibliothèque était les sciences et la médecine. Ce qu'elle lisait sur le sujet ne lui plaisait pas. Tout se rapportait à la religion, aux mains de Dieu, et les soins prescrits n'étaient que prière et cataplasme de merde. Elle ne croyait pas en tout ceci, et elle avait donc appris par elle même les bienfaits des plantes, des racines et de l'hygiène.
Pourtant, lorsque sa tante était tombée malade quelques semaines plutôt d'un mal inconnu, aucune plante connue ne parvenait à la soigner. Parfois elle se stabilisait mais jamais son état ne s'améliorait. Et depuis quelques jours, son cas empirait dangereusement, sans que Colombe ni personne dans le village ne sache quoi faire pour la guérir.

-Agnès va cherche ma sacoche d'herbes médicinales! Dépêche-toi!

L'adolescente obéit et dévale les escaliers tandis que Colombe essaye désespérément de calmer sa tante en maintenant ses poignets et lui parlant.
Agnès revient après quelques instants et lui tend la sacoche, les larmes dégoulinant de terreur sur le visage.
Colombe prend plusieurs plantes séchées qu'elle broie en vitesse et les mélange à de l'eau qu'elle essaye de faire boire à sa tante mais ses gestes désespérés envoient le bol en bois à l'autre bout de la pièce.

-Tante Adeline s'il te plaît écoute moi!

Mais la femme gémit de plus en plus de douleur et se débat contre tout sans rien entendre ou voir autour d'elle. Agnès pleure de plus en plus fort, et Colombe hurle presque pour essayer de calmer sa tante. Mais soudain, tout ce calme. Adeline cesse de se débattre, cesse de gémir. Ses poignets sont lourds dans les mains de Colombe, et ses yeux grands ouverts vers la fenêtre.

-Tante Adeline?!

Aucune réponse. Aucun geste. Aucune respiration.
Agnès pour un hurlement de sanglots et se jette dans les bras de sa sœur, qui reste soudain livide et silencieuse, sous le choc de ce qui vient d'arriver.
Sa tante est morte. Sa mère adoptive. Celle qui lui avait appris à être libre, à aimer appendre et vivre. Celle qui les protégeaient l'une et l'autre.

Colombe était de nouveau orpheline.

ColombeUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum