Chap. 29

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-Je suis désolée mais je suis épuisée, je vais vous laisser, dit Théodora en se levant, à peine son dessert à base de pommes terminé.

La reste du repas a été plus calme (du moins tout le monde est resté à sa place) mais pas moins joyeux et naturel. Colombe a oublié tout ce qu'il avait pu la rendre malheureuse ces derniers mois, et a profité de cette chaleur fraternelle entre ses deux hôtes.
Mais maintenant que Théodora s'apprête à partir, la jeune femme est perdue.

-Je t'attends demain à sept heures devant les cuisines, cela te va?

Colombe hoche la tête, et Théodora leur sourit avant de s'éclipser.
Après un instant à réaliser qu'elle est seule avec un duc - puisque les serviteurs sont également partis- elle se lève brusquement.

-Je devrais aussi aller me coucher, si je somnole demain Théodora risque de me pendre haut et court.
-Haha je vois que tu as déjà compris son fonctionnement. En effet, je te déconseille d'être en retard.

Ambroise se lève à son tour.

-Ta chambre est à l'autre bout du château, je peux te raccompagner si tu le souhaites.

Colombe aimerait répondre non, de peur de lui faire perdre son temps et simplement d'être seule à seule avec lui (pour une raison qu'elle ignore) mais il a raison: sa chambre est loin, et elle n'est pas certaine d'être se souvenir du chemin tant les deux femmes ont parcouru des couloirs et des couloirs toute la journée. Ce château est un véritable labyrinthe.

-Et bien... si cela ne vous dérange pas...
-Ça ne me dérange pas du tout. Et s'il te plaît tutoie-moi, tout comme tu tutoies Théodora.
-Je peux essayer... répond-t-elle un peu gênée.

Ils quittent ensemble la grande salle et marchent lentement dans les longs corridors étroits, Colombe toujours aidée de sa canne.

-Comment vont tes jambes?
-La journée a été physiquement éprouvante. M'allonger va me faire du bien je pense.
-N'hésite pas à le dire à ma sœur si ça ne va pas. Son but n'est pas de t'épuiser.
-Je vais bien, je ne veux pas qu'elle se préoccupe de ça, je suis trop heureuse d'apprendre auprès d'elle.
-Tu es donc finalement prête à rester?
-Oui, pour le moment. Laissons les choses se faire, et nous verrons si ma place est vraiment ici...
-Prends ton temps pour te décider, tu es ici chez toi.
-J'avoue que je ne comprends pas pourquoi... non rien...
-Si vas-y, je t'écoute, demande moi ce que tu veux.
-Je ne comprends pas pourquoi tu fais tout ça. Théodora veut soigner les gens, elle a ça en elle, je le comprends mieux que n'importe qui. Mais toi. Tu es duc, tu as tout le pouvoir possible, et pourtant tu accueilles sans la moindre hésitation une sorcière à ta table. Tu m'as sauvée, je t'en serai éternellement reconnaissante, mais pourquoi tant de générosité?

Ambroise hausse les épaules, le regard devant lui.

-Mon père était différent. Pas le genre de duc à aider son peuple. Pas le genre de père à aimer ses enfants. Pas le genre d'homme que je veux être. Sa mort ne nous a pas fait verser de larmes, ni à Théodora ni à moi. Ni à aucune personne qui le connaissait d'ailleurs... Je veux être quelqu'un de bon. Je veux qu'on se souvienne de moi pour avoir essayé de faire de mon mieux pour être équitable, juste et sage. Je suis jeune, mais pas idiot. Notre pays va mal. Le peuple meure de faim, les nobles et l'Eglise ont tous les droits. Notre mère est morte lorsque nous étions enfants, mais elle nous a appris l'altruisme, la bienveillance, et l'importance du savoir. Théodora est plus âgée et plus sage que moi, c'est évident. Elle aurait fait un meilleur duc que moi, mais elle n'a malheureusement pas eu ce qu'il fallait entre les jambes à sa naissance. Alors me voilà. Mais elle est à mes côtés, je lui fais davantage confiance que tous mes conseillers. Elle ne ment pas, elle est droite et intelligente, et surtout, les gens l'aiment. Moi j'apprends encore. Mais j'espère être sur la bonne voie.

Colombe écoute silencieusement, touchée par tant d'honnêteté, en particulier de la part d'un homme, et qui plus est d'un homme noble. Il assume avoir ses faiblesses et ses doutes. Elle n'avait connu qu'un seul homme lui parlé ainsi jusqu'ici... Anastase.
A la simple pensée de son ancien amant, Colombe sent les larmes lui monter aux yeux. Il est mort, elle n'arrive toujours pas à le concevoir. Comment est-ce possible? Elle ne le reverra jamais. Jamais.

-Pardonne-moi je m'égare.

La jeune femme essuie furtivement ses yeux du rêves de sa manche sans se faire remarquer, puis elle lui sourit:

-Oh non non au contraire, je crois vraiment pouvoir comprendre ce que tu dis. Essayer d'être une bonne personne, malgré la société entière qui nous pointe du doigt comme faisant mauvaise route... Comment ne pas être empli de doutes?...

Ambroise sourit à son tour, et les deux jeunes gens finissent le chemin en silence.
Lorsqu'ils arrivent à la porte de la chambre, ils se regardent un instant sans trop savoir quoi faire, et finalement Ambroise prend délicatement sa main qui n'est pas appuyée sur sa canne pour y déposer un baiser presque frôlé sur sa peau.

-Bonne nuit Colombe.
-Bonne nuit... Ambroise.

Colombeحيث تعيش القصص. اكتشف الآن