Chap. 30

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• Mars 1348 •

Les jours se rallongent peu à peu. La neige a cessé de tomber et le vent hivernal s'est calmé. Le printemps commence timidement à pointer le bout de son nez.
Colombe aide Théodora depuis quelques semaines maintenant, et elle a acquis une certaine autonomie pour s'occuper de patients seule. Elle a de plus en plus confiance en elle, tout comme les gens apprennent à la connaître. Elle passe le plus clair de son temps à travailler, et une solide amitié se crée petit à petit entre elle et Théodora.
Colombe s'est également très attachée à Juliette, la jeune fille qui a accouché quelques jours après son arrivée. Le bébé était joufflu et bien rose, et on l'entend parfois dans tout le château. Juliette n'est pas mariée. Alors lorsque sa famille a appris qu'elle était enceinte d'on ne sait qui, ils l'ont mise dehors. C'est au château qu'elle a été recueillie. Elle est logée, nourrie et a travaillé en tant qu'aide cuisinière jusqu'à ce que sa grossesse ne le lui permette plus. Malgré tout, on a pris soin d'elle, sans jugement et sans lui faire comprendre qu'elle est redevable. Maintenant elle apprend doucement à être mère, et Colombe aime lui rendre visite pour lui tenir compagnie et l'aider avec le bébé. Juliette a nommé l'enfant Nicolas, comme le Saint, pour lui porter chance. Colombe aime le bercer et l'endormir en fredonnant pour permettre à sa jeune amie de se reposer enfin un peu. Elle observe ce petit être dans ses bras, et même si elle le trouve mignon, coriace et amusant, elle réalise à quel point elle n'aurait pas pu être mère, et qu'elle a fait le bon choix, malgré tout ce qui est arrivé.

Pour la première fois de sa vie, Colombe a l'impression d'être à sa place. Elle se sent utile, épanouie et presque heureuse.
Malgré tout, lorsqu'elle se retrouve seule le soir dans son lit à regarder par la fenêtre de sa chambre, il lui arrive souvent de pleurer en silence lorsqu'elle ne s'écroule pas de fatigue. Elle pense à Agnès. Elle pense à Anastase. Elle le sait, cette souffrance ne partira jamais complètement. Néanmoins, elle essaye chaque jour un peu plus de vivre malgré tout, et de calmer la culpabilité qui lui tiraille le cœur même en sachant qu'elle ne s'est pas trompée, qu'elle devait retirer cette chose de son ventre.

Lorsqu'elle est avec Théodora, Colombe oublie Agnès, au moins pour quelques instants.
Lorsqu'elle est avec Ambroise, elle oublie Anastase.
Bien-sûr elle s'en veut. Elle ne cherche pas à remplacer ceux qu'elle aime par d'autres. Mais elle ne peut pas s'en empêcher.
Théodora est presque comme une grande sœur pour elle. Quant à Ambroise... et bien elle ne sait pas quoi en penser. Il est avant tout un duc. Elle lui doit le respect le plus net. Pourtant lorsqu'il la fait rire aux éclats, cette différence de classe s'efface presque tout à fait derrière le son clair de cette effusion de joie. 

Après son dernier patient, Colombe est trop heureuse de se dire qu'elle va pouvoir enfin se reposer. Elle n'a même pas envie de dîner tant elle est fatiguée et ses jambes - toujours abîmées par les flammes même si elle n'a désormais plus besoin de canne - lui font un mal de chien.
En sortant de la chambre du malade, elle croise Théodora et Ambroise qui sont en train de marcher dans un corridor en discutant. Elle s'essuie les mains dans un tissu sans doute du sang de son dernier patient, et lui porte sa tenue de cavalier. Il revient sans doute de missions à l'extérieur. Colombe n'avait pas réalisé son absence tant elle est occupée.
Elle vient à leur rencontre en souriant, et ils lui sourient en retour.

-Tout va bien de ton côté?
-Oui je crois, tout a eu l'air de bien se passer. Et toi?
-J'ai du amputer une femme malheureusement. La gangrène s'était installée dans sa jambe.
-Oh... murmure Colombe en baissant les yeux.

La jeune femme n'a jamais réalisé de telles opérations sanglantes. Théodora lui laisse son autonomie mais prend garde à lui donner des cas dont elle peut s'occuper seule et qu'elle puisse apprendre petit à petit.
Ambroise n'est pas si touché par ça, pour avoir vu à la guerre suffisamment d'horreurs pour y être désensibilisé. Néanmoins il comprend que cela puisse toucher, comme lui même l'était au début. Il pose sa main sur le bras de Colombe et le presse légèrement:

-Théodora n'avait pas le choix. Cette femme serait morte sinon. Sa vie sera différente maintenant bien-sur, mais au moins elle aura une vie.

Colombe lui sourit comme remerciement de cette preuve de compassion.
Théodora change de sujet:

-Nous allions dîner. Ça fait longtemps que nous n'avons pas pu prendre un repas digne de ce nom assis à une table. Veux-tu te joindre à nous?
-C'est très généreux mais je suis épuisée, il faut vraiment que je dorme, je comptais aller me coucher...
-Mais non allez viens avec nous, tu dois reprendre des forces aussi.
-Et bien je...

Colombe n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un serviteur apparu en courant vers eux:

-Ma Dame Théodora! Ma Dame Théodora!
-Calme-toi Hubert, qui y a t'il?

L'homme du reprendre son souffle pour articuler la suite:

-Il y a un homme qui est arrivé au château. Il est dans un très sale état. Nous ne savons pas ce qu'il a mais vous devriez venir voir ça immédiatement.

Les trois jeunes gens échangèrent un regard et sans même se concerter avancèrent ensemble à la suite du serviteur.

ColombeDonde viven las historias. Descúbrelo ahora