Chapitre 2

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La pleine lune a pris place dans le ciel d'ébène. La lumière de l'astre perce la fenêtre de ma chambre. En cette nuit d'été, allongée sur mon lit, je peine à trouver le sommeil. Je fixe le plafond et commence à fermer doucement les yeux lorsqu'un bruit sourd retentit et me fait sursauter. Je crois rêver et me recouche. Quelques secondes plus tard, c'est un cri strident qui me fait bondir sur mes jambes. Il provient de l'étage où toute ma famille est en train de dormir. Je sors de ma chambre et arrive dans le couloir où le silence règne. J'avance d'un pas peu assuré et arrive devant la chambre de mes parents où la porte est grande ouverte, ce qui est contraire à d'habitude. Je passe la tête à l'intérieur de la pièce et aperçois la scène d'horreur. Mes parents sont inertes, allongés sur le sol, baignant dans leur sang. Ils semblent paisibles, comme s'ils dormaient, seulement je sais que ce n'est pas le cas.

       Je me réveille en sursaut. Mes mains tremblent et je suis en sueur. J'ai du mal à respirer, comme si j'avais eu le souffle coupé pendant quelques minutes. J'ai peur. J'ai peur de savoir si ces pensées ne sont qu'un rêve ou si elles cachent la réalité. Je sens une larme couler sur ma joue. J'espère, au plus profond de moi, que ce n'est pas vrai, que mes parents ne sont pas... J'ai un haut-le-cœur en songeant à cette probable réalité.

« Em', ça va ? », s'enquiert Matt qui est assis à côté de moi. 

     Je hoche frénétiquement la tête même si ce n'est pas vrai. Mon cœur bat rapidement. Tout mon corps frissonne. Je suis effrayée à l'idée de savoir ce que je vais découvrir.
L'arrêt du moteur de la voiture me sort de mes pensées. Elle vient de s'arrêter devant une maison pavillonnaire aux murs blancs. J'ai l'impression qu'elle m'ait familière, mais je ne saurais dire d'où. Je descends de la voiture et me place devant la demeure.

« Je suis déjà venue là, n'est-ce pas ? », je demande à mon jumeau qui vient de se planter à côté de moi. 


Je me tourne vers lui et remarque qu'il hoche la tête. 

« Nous n'avions que cinq ans, et Matt en avait à peine deux. Maman nous y avait amené.
– Je m'en souviens. Et de cette femme également. Elle s'appelle Jane, non ? »

Liam acquiesce en silence. Je me suis rappelée du nom de cette femme, mais je ne me souviens toujours pas de ce qu'il s'est passé dernièrement.

« Liam, combien de temps je suis restée dans cette forêt ? », je demande en me pinçant les lèvres.

Il se tourne vers moi et fronce les sourcils.

« Tu ne te souviens pas de ça non plus ? »

Je secoue la tête. 

« Tu t'es enfuie dans la nuit. Nous sommes partis à ta recherche dès que nous avons vu que tu avais disparu. Nous t'avons cherchée partout dans la ville. J'ai eu peur que tu ne sois partie hors de Melwood. Et puis nous avons fini par te retrouver ce matin dans la forêt. Donc tu n'y es restée qu'une partie de la nuit. »

     Maintenant, j'ai une réponse. Mon amnésie a commencé la veille, dans la nuit. Un frisson me parcourt lorsque je comprends que mon rêve pourrait bien représenter la réalité. Les larmes me montent aux yeux. Je ne peux pas l'imaginer. Mes parents seraient... morts. Je ne résiste pas et finis par fondre en larmes.

« Gemma, qu'est-ce qu'il se passe ? », s'inquiète alors mon jumeau en voyant mon état. « Tu t'es souvenu, c'est ça ? »

     Il pose une main tremblante sur mon épaule. Je hoche la tête. C'est donc la vérité. J'ai perdu mes parents. Je ne les reverrai jamais. Les larmes me serrent la gorge et finissent par couler à flot sur mes joues. Mon cœur vient de se briser. Liam ne tarde pas à me prendre dans ses bras et à pleurer à son tour. Nous sommes seuls à présent.

« Ecoute, Em', je sais que ce n'est pas facile pour toi, et ça ne l'est pour aucun de nous. », commence Liam en m'attrapant par les épaules et me regardant droit dans les yeux. « Mais nous allons surmonter cette épreuve, tous ensemble. Jane, et ses enfants sont à présent là pour nous et vont nous aider à faire notre deuil.
– Nous allons vivre chez eux ?
– Oui, c'est le mieux pour nous. »

Le mieux pour nous ? Le mieux pour nous aurait été auprès de nos parents. Seulement, je sais à présent que c'est impossible. Ils ne reviendront pas. J'ai été témoin de leur mort et pourtant je ne sais pas comment cela a pu arriver.

« Gemma, tu t'es souvenu de quoi exactement ? », demande Liam.
« La nuit dernière j'ai entendu des cris venant de la chambre des parents. D'ailleurs , comment se fait-il que vous ne les ayez pas entendus ? » 

Liam détourne le regard. Il me cache encore quelque chose. 

« Liam, répond-moi s'il te plait. », j'insiste en soutenant son regard. « Pourquoi fais-tu tant de mystères ?
– Ecoute, Gemma. Il y a des choses que tu ignores sur notre famille. Nous ne voulions pas te mettre au courant pour ne pas t'alarmer. Aujourd'hui, avec la mort des parents, ce secret ne va pas tarder à t'être révélé. Donc ne t'inquiète pas, tu le découvriras bien assez vite. »

     Je ne sais pas quoi répondre. Je suis abasourdie. Depuis toujours ma famille me ment et me cache un secret. Comment cela est-il possible ? Et quel est ce secret si important ?
Je n'ai pas le temps d'y réfléchir d'avantage car Jane, qui vient de nous rejoindre, nous invite à entrer dans la maison. Nous la suivons à l'intérieur.
    Tout me parait maintenant familier. L'entrée, le salon, la cuisine. Je me vois jouer avec Liam et les enfants de Jane, – qui, si je me souviens bien, se prénomment Rym et Izaac –, dans cet endroit. Ma mère, Rose, est là. Elle est assise à côté de Jane sur le canapé du salon. Elle discute avec elle et tient Matt, encore bébé, dans ses bras. Elles parlent à voix basse, comme si elles ne voulaient pas que nous les entendions. Je ne sais pas ce qu'elles se racontent mais je reste pendu à leurs lèvres. J'essaye de comprendre, mais n'y parviens pas. Alors je me détourne d'elle et recommence à m'amuser avec mon frère, Rym et Izaac, – aujourd'hui âgés respectivement de seize et dix-sept ans.
Je ne sais pas comment elles se connaissaient mais ma mère et Jane semblaient proches. Elle aussi a dû être touchée par la mort de ma mère.
Nous suivons Jane à l'étage où elle nous montre tour à tour nos nouvelles chambres. Matt et Liam se partageront une chambre et je partagerais la mienne avec Rym.
Après nous avoir attribué nos chambres, Jane nous ramène au salon où elle nous invite à nous asseoir sur les deux canapés de cuir blanc.

« Je vais vous expliquer ce qu'il va se passer maintenant. », commence-t-elle en s'installant dans un fauteuil devant nous. « Vous vivrez désormais ici, avec nous, c'est pour votre sécurité. Aujourd'hui, avec la mort de vos parents, vous n'êtes plus protégé et donc, en danger. Surtout toi, Gemma. »

Accompagnant le geste à la parole, Jane se tourne vers moi. 

« Ta mère m'avait confié une chose à ton propos avant de mourir. Et cette chose qui te concerne est très précieuse, nous ne pouvons pas les laisser t'avoir. Tu es trop importante. Nous devons te protéger, toi, en priorité. Tu devras rester le moins possible seule, sinon ils en profiteront pour te capturer et t'utiliser en leur faveur.
– Qui sont ces ils ? », j'interviens alors, ne comprenant pas du tout de quoi Jane parle.

    Que veut-elle dire par "précieuse" ? Et pourquoi faut-il me protéger en priorité ? Qui sont ces ils qui veulent me capturer ?
      Je n'y comprends vraiment rien. Qu'est-ce qui m'arrive au juste ? Pourquoi ais-je l'impression que toute ma vie est en train de changer ? Je vivais normalement jusqu'à ce jour où j'ai perdu mes parents. Aujourd'hui, tout semble différent. On me cache des choses, on veut me protéger parce je porte un lourd secret, et je suis importante pour... je ne sais quoi. Qu'est-ce qu'il se passe, bon sang ? Pourquoi tout a changé à partir du moment où mes parents sont... Je ravale mes sanglots pour ne pas craquer devant tout le monde. Ma vie est chamboulée et je ne peux rien y faire. J'ai l'impression de ne plus rien contrôler. Tout est en train de m'échapper et je ne sais pas comment y remédier.
Jane se lève et vient s'agenouiller devant moi.

« Gemma, je sais que tu ignores tout de ce qu'il t'arrive et que tu as peur. Mais je sais aussi qu'une chose importante te concernant peut être très utile à certaines personnes qui te traquent et souhaitent ta mort. Aujourd'hui, la chose la plus importante est de te protéger pour éviter qu'ils ne te trouvent. Je ne peux pas te dire pour l'instant de qui il s'agit, je ne veux pas t'effrayer. Mais, malgré cela, tu dois me faire confiance. Je suis là pour t'aider et, dans les semaines qui viennent, je t'expliquerais tout ce qui t'arrive, je te le promets. Tu découvriras une part de toi que tu ne soupçonnais même pas. Au début tu n'y croiras pas, tu seras terrorisée à l'idée que cela t'arrive, à l'idée même que ça puisse exister. Mais au fur et à mesure que tu en apprendras d'avantage sur cette part de toi, tu l'accepteras et apprendras à vivre avec. »

     J'écoute attentivement Jane. Ce qu'elle me dit est censé me rassurer, mais au contraire, je suis de plus en plus apeurée. Quelle est cette part de moi qu'elle a évoqué ? Et pourquoi je ne pourrais pas y croire ? Qu'est-ce qu'elle a de si exceptionnel ? Je n'en peux plus de me poser des questions et de n'obtenir aucune réponse. Je voudrais savoir ce qu'il m'arrive, connaître toute la vérité. Pourquoi veut-on me la cacher ? Est-elle si horrible que le suggère Jane ?
Après cette brève entrevue, je décide de monter à ma chambre pour me familiariser un peu plus avec les lieux. Après tout, c'est ici que je vais vivre désormais, je dois arriver à m'en accommoder. Je quitte donc la pièce et monte à l'étage. La chambre comporte deux petits lits placés chacun contre un mur et un bureau en bois laqué installé dans un coin de la pièce. Je m'y installe et fouille dans les tiroirs à la recherche de papiers et d'un crayon. J'en trouve assez rapidement et commence à crayonner quelques esquisses sur le papier immaculé. J'ai toujours aimé dessiner, comme ma mère. Lorsque j'étais petite, je l'observais des heures durant peindre et dessiner dans son atelier que mon père avait aménagé spécialement pour elle. Je la regardais faire et puis un jour, je m'y suis mis, et depuis je n'ai plus jamais arrêté. Aujourd'hui, elle n'est plus là pour me servir de modèle, me montrer de nouvelles techniques de peinture, m'aider à m'améliorer. Ma mère a toujours été là pour moi, pour m'aider. Mais aujourd'hui, avec sa disparition, je n'ai plus personne et je me demande si, un jour, j'arriverais à la remplacer, à trouver quelqu'un qui puisse me venir en aide comme elle l'a fait ces seize dernières années. Je ne peux m'empêcher de verser une larme qui retombe en flaque sur la feuille devant moi. Je me ressaisis et continue de laisser glisser mon crayon sur le papier. Peu à peu, le blanc de la feuille laisse place au visage d'une jeune fille. Elle a la peau laiteuse et des cheveux cuivrés qui lui tombent en boucle de chaque côté de son visage. Ses yeux verts émeraude sont brillants, comme si la lumière venait les illuminer. Elle semble apeurée. Je sais que ce portrait est le mien. Seulement, une chose intrigante frappe chez cet autoportrait. En effet, deux longues canines extrêmement aiguisées sortent de sa bouche et les veines de son visage sont d'un noir charbon. Je prends le papier entre mes mains et le soulève pour mieux le contempler. Je ne sais pas ce qu'il est censé représenter. Une métaphore, un rêve, ou peut-être la réalité. Je secoue la tête et déchire finalement la feuille qui retombe en deux bouts sur le bureau. Ce n'est sûrement rien, juste le fruit de mon imagination. Ce n'est qu'un dessin, il n'y a pas forcément un sens. Je me lève brusquement et vais me coucher sur mon lit. Je fixe le plafond et croise mes bras sur ma poitrine. Qu'est-ce qu'il me prend et m'arrive ? Depuis la veille, j'ai l'impression d'agir de façon étrange et différente. Tout d'abord je m'enfuis de chez moi en pleine nuit pour une raison encore inconnue, et maintenant ce dessin effroyable me représentant comme une sorte de bête. Qu'est-ce que cela signifie ? Et quand sera le jour où j'aurais enfin une réponse à toutes ces questions qui me perturbent ? Je ferme les yeux et espère qu'à mon réveil, les choses redeviendront comme elles étaient.        

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