Chapitre XVII

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Mon réveil allait sonner dans quelques minutes. Je me retournai dans mon lit pour la énième fois en soupirant. J'avais passé la plupart de ma nuit à compter les lignes de mon papier peint, inquiétée par l'étrange picotement qui parcourait le haut de mon corps, de la tête au ventre, en passant par les épaules. Certes, il m'arrivait d'avoir les muscles noués quand j'étais fatiguée, mais jamais de cette intensité. Cela me rappelai étrangement le soir où mon tatouage était apparu. N'y tenant plus, je décidai de me lever. A peine eus-je posé un pied par terre que le sol se déroba sous mon poids. Je fus prise de violents vertiges et dus me rattraper à ma table de nuit. J'inspirai lentement, les yeux fermés, une main plaquée sur le ventre.

"Déesse!Qu'est-ce qu'il m'arrive à la fin?"

Je commençai à paniquer sérieusement. Tremblante, je me dirigeai vers la salle de bains. J'ouvris le robinet d'eau froide, recueillis l'eau pulsée dans le creux de mes mains et m'en aspergeai le visage. Je relevai ensuite la tête. Dans l'obscurité, mon croissant de lune semblait luire, comme si mon front était rempli de petites lucioles.

Bizarre...

J'allumai la lumière et poussai un cri de surprise. Le miroir me renvoyai l'image d'une inconnue à l'air familier. Vous savez, c'est comme quand on croise une personne dans la rue et qu'on a l'impression de la connaitre, alors qu'en fait, c'est une inconnue. Eh, bien, cette personne, c'était moi. Elle avait mes yeux océan, plus grands et plus lumineux; mes cheveux gris cendrés, qui m'arrivaient à la taille; mon nez fin et ma bouche, un peu large. Des motifs saphir en forme de plumes partaient des deux côtés de mon croissant de lune, s'enroulant autour de mes yeux et descendant timidement sur mes pommettes. Mes épaules étaient ornées des mêmes symboles. Je ne pus m'empêcher d'effleurer mes nouveaux tatouages, le souffle coupé. C'était aussi magnifique que terrifiant. Je savais que c'était normal, mais j'avais quand même un peu peur, c'était plus fort que moi. Le bip strident de mon réveil me fis sursauter. Je me ruai dans ma chambre pour l'éteindre, puis m'habillai rapidement: skiny troué au niveau des genoux et chemise à carreaux rouges et noirs, avant de sortir. J'arrangeai mes cheveux de façon à ce qu'ils me tombent sur le visage et baissai la tête, comme si j'étais brusquement fascinée par le sol. Soudain, je me heurtai à deux personnes, qui m'étaient vaguement familières.

-Aie! lâchai-je, sans pour autant lever la tête.

-Alena? Est-ce que ça va? demanda une voix masculine, celle de Davy.

Je hochai la tête en silence, le regard visé sur mes Converses. La blonde à côté de lui s'agita et replaça son sac sur son épaule.

-Alors pourquoi tu contemples le sol? Je sais qu'il est beau, mais quand même! s'exclama-t-elle.

Je reconnus la voix d'Ewa. Je changeai légèrement de position et marmonnai:

-Je ne peux pas.

-Pourquoi? Qu'est-ce qu'il y a? Tu t'es fais défigurée ou quoi? continua mon amie.

Je soupirai: autant leur montrer. Je n'allais pas rester tête baissée toute ma vie. Je ramenai mes cheveux en arrière et relevai la tête. Ils me fixèrent un instant, ébahis, puis Davy prit la parole:

-C'est pour ça que tu te cachais? On est tous passés par là! Et puis, on est tes amis, on ne te laissera pas tomber!

Il avait raison. Je n'aurais jamais dû douter d'eux.

-Sauf si tu m'annonces que le orange est une belle couleur. Là, tu peux être sûre que je ne te parlerai plus jamais! fit Ewa.

Je souris. Mes amis avaient réussi à me remonter le moral. Comme toujours.


-Bien! Comme vous avez pu le remarquer, la séance est presque terminée. Ce que je vous propose, c'est que vous passiez en duos sur un extrait de Roméo et Juliette. Des volontaires? dit Mme Warren.

Un silence de mort s'installa dans la classe. Davy finit par lever la main et attrapa son livre.

-Alena et moi souhaitons passer, déclara-t-il.

Je lui lançai un regard interrogateur. Je n'étais pas particulièrement enchantée par la perspective de passer, mais c'était trop tard pour reculer: autant jouer le jeu. Je me levai, pris mon livre et me plaçai face à Davy, sur l'estrade près du bureau de la professeure. Il ouvrit son livre à la page demandée, puis commença à lire:

-Si j'ai profané avec mon indigne main cette châsse sacrée, je suis prêt à une douce pénitence: permettez à mes lèvres, comme deux pèlerins rougissants, d'effacer ce grossier attouchement par un tendre baiser.

-Bon pèlerin, vous êtes trop sévère pour votre main qui n'a fait preuve en ceci que d'une respectueuse dévotion. Les saintes mêmes ont des mains que peuvent toucher les mains des pèlerins; et cette étreinte est un pieux baiser, récitai-je, essayant d'oublier le regard des autres.

-Les saintes n'ont-elles pas des lèvres, et les pèlerins aussi?

-Oui, pèlerin, des lèvres vouées à la prière.

-Oh! Alors, chère sainte, que les lèvres fassent ce que font les mains. Elles te prient ; exauce-les, de peur que leur foi se change en désespoir.

-Les saintes restent immobiles, tout en exauçant les prières, répliquai-je en faisant un pas sur le côté, m'approchant ainsi de lui.

-Restez donc immobile, tandis que je recueillerai l'effet de ma prière. Vos lèvres ont effacé le péché des miennes.

Il me fit une œillade en insistant sur cette phrase. Je sentis mon visage devenir couleur pivoine, mais je me ressaisis rapidement.

-Mes lèvres ont gardé pour elles le péché qu'elles ont pris des vôtres, conclus-je.

Mme Warren nous lança un regard de félicitations. Les applaudissements se déchainaient dans la salle. Cependant, je ne les entendant que d'une oreille distraite. J'avais le souffle court, comme si j'avais couru un marathon, et mon cœur menaçait de sortir de ma poitrine, comme lors de notre tête à tête dans la bibliothèque. Qu'est-ce qui m'arrivait à la fin?

WerewolfWhere stories live. Discover now