Chapitre XIX

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Je restai immobile quelques instants devant le temple de la déesse, indécise. Même si j'y étais déjà allée, cela restait quand même un lieu sacré. Je finis par pousser la lourde porte et entrai à l'intérieur, après avoir vérifié que personne ne me suivait. Après ce qu'il c'était passé lors du rituel des Enfants de l'Obscurité, mieux valait rester sur ses gardes. Mes pas résonnèrent entre les imposants murs de pierre. Je ne pus m'empêcher de frissonner de peur: c'était bien trop calme, même pour un endroit sacré. Après avoir assisté à un rituel où tout était décoré, j'avais du mal à reconnaitre l'endroit. C'était beaucoup plus grand et mystérieux. La lumière de la lune filtrait à travers les vitraux finement colorés. Des statues de la déesse occupaient toute la partie sud. Seul un unique chandelier projetait sa faible lueur sur les murs décorés de tableaux représentant la mythologie grecque et l'Au-Delà. Je me heurtai à un meuble en acajou, où étaient disposées des centaines de cierges encore inutilisées. La douleur se répandit dans ma cuisse à une vitesse phénoménale, m'arrachant un cri de douleur. Tout en me massant la cuisse, je me remis à marcher. Ici, tout paraissait tellement calme, comme une bulle de silence parmi les bruits de la ville. Je m'assis sur un banc et examinai les peintures. Toutes entourées de cadres en or, certaines dataient du XVIIème siècle, voire plus. Une légère odeur de peinture à l'huile flottait agréablement dans l'air, mêlée à celle des encens, qui brûlaient en continu. Une en particulier attira mon attention. On y voyait Nyx, vêtue d'une toge rose pâle et brandissant fièrement son attribut le plus célèbre. Autour d'elle, étaient disposées six bougies, représentant les éléments. Étrangement, cela me rappelait la phrase qu'Ewa m'avait dite, la dernière fois: "tu seras ses yeux et ses oreilles dans notre monde où les éléments luttent pour trouver un équilibre". Cette phrase m'avait marqué, surtout que je possédai une affinité avec un de ces fameux éléments.

Soudain, l'ambiance calme de la structure s'ébranla. Je crus entendre des sanglots étouffés, mais je n'en étais pas sûre. Je tendis l'oreille, faisant appel à mon ouïe surnaturelle. Après quelques secondes, j'eus ma confirmation: c'était bien des pleurs. Je me levai en soupirant. C'était la journée des pleurs ou un truc du genre? Je me mordis immédiatement la lèvre, étonnée par cette pensée. J'étais en train de me transformer en garce ou quoi? Je secouai la tête: à cet instant, j'aurais bien voulu arrêter de penser cinq secondes. Les larmes provenaient de l'arrière du temple. Je contournai les bancs et descendis plusieurs marches irrégulières. J'atterris dans une sorte de crypte poussiéreuse, remplie de stèles funéraires. Je compris subitement: c'était là que les loups enterraient leurs morts. Au fond, une forme noire m'intrigua. Je m'avançai, le cœur battant. Une femme était recroquevillée à même le sol, un bouquet de violettes à ses côtés. Elle fixait d'un air absent l'inscription en face d'elle:

Victoire Alexandra Walker, 1815-1833.

Ces cheveux noirs, aussi fins longs et fins qu'un voile me disaient quelque chose. C'était assez subtil, mais cela suffisait.

-Ludmila? soufflai-je.

La femme se retourna et me fixa de ses grands yeux émeraude. C'était bel et bien Ludmila. Son corps frêle, secoué de sanglots, contrastait étrangement avec l'expression sévère qu'elle arborait en cours. Comme quoi, les apparences sont trompeuses, et j'étais la première à le vérifier.

-Que se passe-t-il? continuai-je en m'accroupissant.

-Sais-tu seulement ce que ça fait d'avoir une mort sur la conscience, Alena?

Je reculai d'un pas. Ça ne pouvait pas être vrai. C'était sûrement une blague. Pourtant, c'était bien la vérité, inutile de se mentir.

-Vous voulez dire...que vous avez tué quelqu'un?

Elle acquiesça et désigna la stèle.

-Ma sœur. A l'époque, je venais de découvrir un de mes dons, celui qui m'empêchait de viser ma cible. Il me suffisait de la visualiser, c'était un jeu d'enfant.

Elle sourit à ce souvenir en se balançant d'avant en arrière, le bouquet serré dans ses mains.

-Le problème, c'est qu'en tant que jumelles, Victoire et moi possédions ce même don. J'avais encore du mal à le contrôler, contrairement à elle. Un soir, après un énième échec de ma part, je me suis imaginé une cible vivante, toute proche et le coup est parti. Elle est morte dans mes bras une heure plus tard. Tu as le droit de me considérer comme une meurtrière. Après tout, c'est ce que je suis.

Malgré l'horreur de la situation, je n'avais pas à la considérer comme telle. C'était peut-être dû à l'esprit, mais j'en étais incapable. Je me rapprochai d'elle en silence.

-A vrai dire, je n'arrive pas à vous considérer comme une meurtrière Ludmila, avouai-je.

Elle posa une main tremblante sur mon épaule en esquissant un sourire triste.

-C'est normal. C'est dû à ton affinité.

Je fronçai les sourcils. Comment était elle au courant? Et surtout, par qui?

-Je l'ai deviné à tes tatouages.Ils sont typiques de la sensation que l'on ressent quand l'esprit se manifeste. Et puis, j'ai remarqué ton trouble lors du rituel, expliqua-t-elle.

Je hochai la tête. Je comprenais mieux, à présent. Je me relevai avec l'impression de ne plus pouvoir respirer. La petitesse de la pièce m'oppressait. Je me tournai vers la professeure:

-Je crois que je vais vous laisser. Vous avez sûrement besoin d'être seule.

-Je le crois aussi, même si j'étais contente d'en parler. La déesse te réserve un grand avenir, c'est sûr.

Je sortis après l'avoir saluée une dernière fois. Je remontai les marches et retrouvai une respiration normale. Je m'avançai jusqu'au meuble, pris une bougie, l'allumai et m'aventurai vers les statues. Je m'assis en tailleur sur le sol irrégulier, les yeux fermés, la cire de la bougie dégoulinant sur mes doigts.

-Merci Nyx de m'avoir offert ce don. Je vous remercie aussi pour tout ce que vous avez pour moi, à commencer par changer ma vie, et m'avoir fait découvrir la vraie notion d'amitié. Pour tout, merci, murmurai-je.

Je rouvris les yeux. La lune éclaira le visage souriant d'une des statues. Puis une voix magistrale résonna entre les statues.

Mais ce n'est rien, fille de la nuit. Souviens-toi, tu es unique. C'est le plus important.



WerewolfWhere stories live. Discover now