Chapitre 14

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aï ouvre les yeux dans un décor sombre. Le crépuscule semble plonger une région montagneuse dans les ténèbres. Il n'y a que quelques arbres desséchés qui puissent survivre dans un environnement aussi hostile. Sur les crêtes arpentées, la roche friable s'effondre par endroit, laissant chuter d'énormes blocs de pierre qui se démantèlent en petits fragments coupants. Le sol sur lequel Taï évolue, est très sombre et poussiéreux. Cela ressemble beaucoup à de la roche volcanique. Visiblement, il n'y a pas grand-chose à découvrir dans un tel endroit. Les vallées noires s'étendent à perte de vue. De hautes montagnes voilent l'horizon sur lequel le soleil s'est couché. Seuls les croissants des lunes de Toulghar amènent un peu de lumière à ce décor chaotique. Soudain, la terre tremble. Des cailloux se mettent à frémir comme si quelque chose allait sortir de terre. Taï sent le danger arriver et se précipite vers les hauteurs. À mesure qu'il grimpe, il perçoit des mouvements très nets sous ses pieds. Quand il arrive enfin sur un rocher suffisamment imposant pour être en sécurité, il regarde en contre bas et observe ce sol en mouvement. Ses yeux s'adaptent enfin à l'obscurité, il distingue les silhouettes de milliers d'insectes géants. Un bal nocturne est en train de se dérouler sous lui. Ces montagnes ne sont pas ce qu'elles laissent paraître. Ce sont des nids dans lesquels évoluent plusieurs espèces mutantes. Certaines ressemblent à des cafards, d'autres à des termites ou pire encore, à des araignées. De leurs mandibules, les ouvrières découpent quelques pierres soigneusement sélectionnées et les acheminent sous terre. Il arrive que certaines espèces se livrent à de sanglants combats. C'est le but des araignées de se nourrir d'êtres plus faibles. Ces créatures velues, aux crocs acérés, ressemblent à des mygales. Par groupe de dix, elles fondent sur un mille-pattes de cinq mètres environ et le paralysent de leur venin. Mesurant chacune la même taille que leur proie, elles n'ont aucun mal à en venir à bout. Quand la bête reste tétanisée au sol, l'un de ces arachnides l'enveloppe d'un fil de soie. Le cocon mortuaire est tiré par les autres créatures dans un trou près d'un vieil arbre tortueux. Les vallées sont envahies d'insectes géants, ne laissant bientôt plus entrevoir la moindre parcelle de terre. Ce tapis en mouvement incessant produit le son amplifié d'une fourmilière. Taï a eu le bon reflex d'aller se réfugier dans les hauteurs, car il vaut mieux ne pas se trouver parmi ces créatures, au risque de découvrir sa place dans la chaîne alimentaire. Dans cette agitation répugnante, il distingue du mouvement sur la montagne en face de lui. De ce qui semble être une grotte, sortent des centaines de créatures ailées. Elles s'agitent dans le ciel étoilé attirées par la douce lumière des lunes, comme des papillons de nuit. Au début, Taï pense à une envolée de chauve-souris, mais très vite il comprend à quoi il a affaire. En contre-jour, leur silhouette se dévoile parfaitement. Ses parents lui ont également enseigné quelques leçons sur les mythes et légendes de la Terre et ce qu'il voit y ressemble beaucoup. Les caractéristiques de ces êtres dévoilent des humanoïdes aux ailes de chauve-souris. Leurs bras sont très longs et fins. À leur extrémité, de longues griffes leurs servent à attraper les proies. Pointant leurs armes tranchantes vers la vallée, les vampires foncent sur les insectes en mouvement. Par groupe de deux, ils les extirpent et les jettent dans les airs pour mieux les déchiqueter. D'autres se précipitent dessus à tour de rôle, ouvrant leur gueule béante, des crocs immenses percent la carapace et aspirent le contenu en plein vol. Rassasiés, ils passent à une autre victime, laissant la place aux suivants, jusqu'à ce que la bête soit entièrement vidée. Les restes viennent se fracasser au sol pour le plus grand plaisir des cafards et autres bêtes rampantes affamées. Assis depuis plusieurs longues minutes à contempler cette étrangeté, Taï se dit qu'il doit enfin rentrer chez lui. Il est parti voilà quelques heures seulement et le jour venait de se lever sur le royaume d'Ebes. Ce devrait être le milieu d'après-midi tout au plus, ce qui indique qu'il se trouve sur un autre continent de Toulghar. Fermant ses paupières, il se concentre sur sa destination de retour. Soudain, un bruit le déconcentre. Identique à celui que produit un claquement de serviette tout près de ses oreilles, il lève les yeux et voit surgir un vampire. Sans tressaillir, il dégaine ses épées et décapite l'animal en plein vol, ce qui ameute les autres. Il se livre alors à une bataille effrénée contre ces monstres suceurs. Ne pouvant s'enfuir, bloqué sur son petit bout de roche, il lutte durant de longues minutes contre un ennemi enragé et difficile à voir dans l'obscurité. Il va mourir s'il reste une seconde de plus ici, et décide de rengainer ses armes pour entrer en méditation. À nouveau, les créatures pointent leurs griffes et fendent l'air de leurs ailes en direction de Taï. La lumière jaillit, créant une enveloppe autour de lui, ce qui aveugle les assaillants. Certains, déstabilisés, finissent leur course sur la paroi verticale. Ils glissent au sol, où les attendent les insectes toutes mandibules sorties. Le jeune rescapé glisse encore dans les couloirs de l'espace-temps et se retrouve en plein Paris. La main sur sa dague encore rangée dans son fourreau, il marche au milieu de l'avenue des Champs Élysée. Les pavés sont recouverts d'une épaisse croute noire et sèche, vestige des cauchemars et du largage de la bombe atomique. Tout est entièrement détruit, les immeubles sont couchés au sol, la végétation inexistante et les restes de la tour Eiffel au loin, toute aussi abimée. Il voit des cortèges de sauraux à une bonne centaine de mètres de lui, escorter des véhicules transportant des cages. Intrigué, il décide de se rapprocher pour y voir plus clair. Prenant les chemins adjacents, il avance à pas de velours, évitant de marcher sur du verre brisé ou des morceaux de pierre qui pourraient donner sa position. Quand il arrive enfin près du convoi, il voit horrifié, des dizaines d'enfants enchainés, recroquevillés les uns contre les autres. Ils n'osent même plus pleurer. Quand l'un d'eux, capturé dans les décombres, pousse un son, les sauraux le frappent violemment, parfois, ils lui assènent de profondes blessures avec leurs griffes. Taï ne peut rester une minute de plus sans intervenir. Il compte ses ennemis, ils sont une cinquantaine, ce qui est très risqué. N'ayant pas d'autre choix, il sort lentement ses épées et se rapproche discrètement. Sa première victime est décapitée sans bruit, la deuxième n'a pas le temps de donner l'alerte. Il lui plante sa dague en plein milieu du crâne. Celle-ci a eu le temps de le regarder, elle le fixe longuement, s'effondrant au sol. Dans la cathédrale, le chef saural a perçu cet affront, il se lève aussitôt et balance le fauteuil au fond de la salle d'un revers de la main.

Les enfants de Toulghar, tome 3, la dominationKde žijí příběhy. Začni objevovat