Chapitre 15

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C

'est un matin très calme qui se lève sur le royaume d'Hyprès. Une brume légère plane au-dessus des fougères et les premiers parfums boisés mélangés à de subtils aromes de fleurs s'ouvrant aux premiers rayons de soleil, planent dans l'air, apportant une touche poétique dans cet environnement où la vie a repris son cours depuis peu de temps. Quelques gouttes de rosée coulent le long des feuilles des grands arbres et tombent sur la mousse fraîche, créant un clapotis musical. Le mouvement des ruisseaux qui alimentent la forêt ajoute une touche harmonieuse à ce décor magnifique. Les mouvements saccadés de l'eau frayant son chemin entre les pierres s'accentuent près des petites cascades, où dorment les griiars. Il en est pourtant une qui n'est pas le fruit du fracas de l'eau contre la roche, mais cherchant à tout pris un passage par-dessus un obstacle malvenu. C'est le corps de Taï qui est à moitié noyé dans les flots incessants. Le sang s'écoule encore de ses nombreuses plaies, son visage est blafard, le teint encore marqué du mélange de sueur et de poussière. À demi enfouit dans les remous, il n'y a presque pas de place pour le laisser respirer. La vie semble avoir quitté son corps à jamais. Les bruits de la forêt cessent lentement. La brume se lève, les gouttes ne tombent plus. Même les oiseaux qui entreprenaient leurs premiers chants matinaux se sont tus. La cime des arbres se met en mouvement et plusieurs formes aussi grosses que des feuilles descendent en tournoyant. Le nuage s'épaissit pour venir se positionner au-dessus du corps sans vie. Ce sont des Elfus qui se regroupent en une masse dense, enveloppant Taï avec délicatesse. Le groupe se scinde en deux. Le premier attrape plusieurs parties de son corps et de son armure. Le deuxième forme un tourbillon qui l'élève dans les airs, l'arrachant ainsi à la noyade. Ils se mettent alors à briller et emmènent le pauvre Taï dans le lointain.

Au terme d'un long voyage, ils arrivent enfin au village des Alfats. Visibles de très loin grâce à la lumière qu'ils dégagent, ils alertent les travailleurs chargés de ramasser du bois pour la communauté. Un mouvement de foule se crée alors jusqu'au centre du village. Lisbeth et Wilmer sortent immédiatement de leur demeure et accourent vers les Elfus. En larme, Lisbeth se jette sur le corps de son fils déposé délicatement sur un rocher plat servant à poser des provisions. Elle l'enlace en lui murmurant des mots doux à l'oreille. Mais il ne semble pas réactif, pire il est entre la vie et la mort.

—Laisse-nous faire ! crie Nolhan en se précipitant.

Il pose une main réconfortante sur l'épaule de Lisbeth pendant qu'un groupe de dix Alfats encerclent son fils.

—Nous ferons tout notre possible pour le ramener en bonne santé.

Lisbeth s'écarte, sachant qu'elle peut leur faire confiance. Les Alfats sont les seuls à pouvoir le réanimer. Le village est sous haute tension. La panique qui s'est installée a fait venir tout le monde, y compris les autres habitants des environs, tels que des griiars ou des garous partis en chasse. Wilmer tient dans ses bras sa compagne, tous deux se rassurent comme ils peuvent. Hanna et Zack les rejoignent, ils savent qu'il n'y a rien à faire pour aider leurs amis. Pendant que les Alfats pratiquent le Dimak, d'autres amènent des herbes médicinales qu'ils déposent à tour de rôle sur le corps de Taï. Une fumée blanche se dégage vers les Elfus restés au-dessus et les force à se placer sur les côtés. Main dans la main, les Alfats ont formé un cercle et sont entrés en méditation. Nolhan se met à prononcer des incantations en vieux Toulgharien, ses yeux se révulsent et un brin de lumière parcours son corps puis se transmet aux autres. L'anneau lumineux se détache pour venir se resserrer et envelopper le corps inerte et sans vie. Nils se tient aussi près du groupe, il retient son souffle, espérant de toutes ses forces que son ami ne meurt pas. Les minutes passent et toujours aucun signe de vie. Les Toulghariens voient leur espoir s'éteindre à tout jamais, Lisbeth et Wilmer assistent à la perte de leur fils bien aimé. Les Alfats redoublent d'effort, Nolhan commence à montrer quelques signes de fatigue. Ses jambes peinent à porter sa tête-tronc. Le corps du jeune héros de guerre n'est presque plus visible. Un halo de lumière intense virant du blanc au bleu clair, recouvre la moindre parcelle de son corps. Les fumées s'étendent, courant sur le sol comme des milliers de couleuvres. Elles ondulent, se faufilant entre les jambes de la foule terrifiée à l'idée de le perdre. Taï est parti vers un nouveau monde. Son cœur ne bat plus, son esprit quitte son enveloppe charnelle. Il glisse lentement vers l'inconnu, sentant ce besoin inexplicable de rester en contact avec lui-même, perdre de son importance. Se sentant flotter, il regarde en contrebas et observe celui qu'il a été, inerte, sans vie. Il voit ses parents morts de chagrin, ainsi que ses amis et le reste des Toulghariens. Il aimerait tant leur dire au revoir, mais c'est au-dessus de ses forces. Il est happé par une étrange lumière incroyablement puissante et douce à la fois. Tout autour de lui disparaît lentement dans ce nouvel élément de bien-être. Jamais il ne s'était senti si bien, il ne ressent même plus les émotions qui le lient à ses proches. Il n'a plus aucune raison de lutter et se laisse absorber par ce rayonnement qui lui procure un sentiment d'amour intense.

Les enfants de Toulghar, tome 3, la dominationWhere stories live. Discover now