Chapitre 18

1 0 0
                                    

L

es sauraux sont des pisteurs talentueux, capable de suivre une proie sur des kilomètres de distance. Malgré les efforts du palbéras à ratisser la zone, ils se fient à leur sens olfactif. Quant au garou, sa trace se repère encore plus facilement. De nombreuses gouttes de sang tapissent le sol. Même s'ils sont ralentis par la forêt, ils savent qu'il n'ira pas très loin dans cet état. Ils pensent rattraper leur retard une fois cet environnement passé. À mesure qu'ils avancent, la mousse et les feuilles mortes laissent place à une boue épaisse sur laquelle les sauraux ont bien du mal à progresser. Les roues patinent et les chenilles s'enlisent. Ils perdent un temps fou à les sortir de ce piège. Le soir va bientôt tomber, ils devraient déjà être près de la mer de sable. Leur chef est hors de lui. Faisant les cent pas, il sait que cette boue est là pour les ralentir. S'il veut poursuivre son but, il doit abandonner plusieurs véhicules.

—Que ceux dont les engins sont bloqués, descendent et fassent le reste du chemin à pied !

Immédiatement ses sbires s'exécutent, il ne reste qu'une cinquantaine de blindés et dix chars. Sans le savoir, les griiars en chutant ont créé un raz de marée, constituant un piège bien plus efficace que ce qu'il aurait pu imaginer. Ils leur ont fait perdre plus d'une demi-journée, ce qui laisse aux Toulghariens en fuite, un peu d'avance et de répit. La forêt est semblable à un immense marécage et les sauraux ont bien du mal à en voir le bout. Les cours d'eau qui sillonnent la région sont en partie effacés. Sur près de deux kilomètres, tout a été recouvert. La lumière commence à percer à l'horizon, c'est le signe qu'ils arrivent enfin près du but. L'eau des chutes reflète encore les reflets du soleil couchant. Les véhicules dégagent plus que jamais leur fumée épaisse et créent un bruit assourdissant. Figés dans les affluents depuis des heures, les griiars mesurent le danger pour la première fois. Ils aperçoivent leurs ennemis luttant pour avancer dans la boue et comprennent alors qu'un nouveau raz de marée pourrait les sauver. Les géants décident de se disloquer et coulent au fond des eaux mouvementées. Ils veulent les prendre par surprise et les noyer. Face à ce rideau composé de cascades titanesques, les sauraux réalisent qu'ils doivent laisser leurs véhicules pour de bon ou contourner vers les montagnes.

—Majesté, dit l'un d'eux. Si nous contournons les chutes d'eau, nous perdons des jours sur notre objectif, ils pourraient nous échapper définitivement.

—Oui, je sais ! répond le saural en grognant. Quelque chose n'est pas normal ici. Cette boue semble venir de là. Il s'est passé un évènement que je ne saurais qualifier.

—Oui majesté ! C'est comme si une partie de la roche qui constitue ces chutes, s'était disloquée.

Le saural réfléchit, pendant que son armée pénètre dans l'eau à la nage. Les reptiles usent de leur longue queue comme d'un gouvernail. Ondulant tels des serpents aquatiques, ils traversent les eaux sans se douter du danger. Par milliers ils envahissent le terrain. Toujours les yeux fixés sur les chutes, le saural tente d'élucider cette affaire. Il ne connait aucune arme assez sophistiquée que les Alfats auraient pu utiliser pour faire sauter une partie de la roche. Seuls des géants pourraient être capables d'un tel accomplissement. Il vient de comprendre, mais trop tard. Les eaux s'agitent en tout sens, des vagues naissent à la surface, emportant avec elles plusieurs nageurs. Le chef saural hurle de toutes ses forces le repli, mais les bruits des chutes mêlés aux remous camouflent sa voix. D'énormes masses de pierres jaillissent des flots et se collent les unes aux autres. Bons nombres de sauraux sont projetés dans les airs, les autres se noient, entraînés par le fond. Les griiars se sont reconstitués et ne perdent pas un instant pour réaliser leur piège. Ils fracassent de leurs poings la surface de l'eau qui leur arrive à la taille afin de former une nouvelle vague. Trop faible pour tous les ensevelir, elle parvient quand même à emporter une centaine d'entre eux, les projetant contre les arbres comme des insectes. Puis ils joignent leurs mains et forment une chaîne. Le regard fixé sur leurs adversaires, ils écartent les bras et se laissent chuter en avant à plusieurs reprises. D'énormes vagues déferlantes naissent alors, plus meurtrières que la précédente. Cette fois, les sauraux ont un adversaire à leur taille. Les premiers d'entre eux déjà engagé dans les eaux ont péri, c'est le tour de ceux qui sont près des berges. Leur chef a déjà pris la fuite, il est monté à bord d'un blindé, cramponné fermement aux poignées. La première vague balaye la surface sur une centaine de mètres, la seconde est encore plus haute et noie les survivants. Quant à la troisième, elle mesure près de dix mètres, elle vient à bout des arbres géants qui sont emportés comme des allumettes. À présent ces éléments de la forêt constituent des projectiles meurtriers capables d'anéantir les blindés. Un arbre vient même emboutir un char, le prenant sur le côté. Le choc est violent et perce le blindage de part en part. Le véhicule tourne sur lui-même, glissant sur la troisième vague, parmi les nombreux débris venant éclater le reste de sa structure. D'autres subissent le même sort et s'agglutinent sur le sol boueux qu'ils ont foulé auparavant. Des milliers de cadavres gisent dans la boue au milieu de l'eau qui se disperse. Abasourdi par le choc et la défaite, le chef des sauraux pousse la porte enfoncée qui le retient prisonnier dans son véhicule. Il est couché sur le côté, une marre d'huile fumante sort du moteur.

Les enfants de Toulghar, tome 3, la dominationWhere stories live. Discover now