58/ Conduite mouvementée.

11.7K 1.1K 437
                                    

***

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.


***

Les poings sur les hanches, j'observe les robes grossièrement étalées sur mon lit, dépassée. Lorsque je suis allée faire du shopping avec Merida, j'avais bien précisé qu'il me fallait une seule robe, de couleur foncée de préférence. Mais encore une fois, cette chieuse ne m'a pas écoutée et m'a trimballée de boutique en boutique, me faisant essayer robe sur robe sans prendre en compte la moindre de mes putains de protestations. Résultat, il y a cinq robes différentes ; une jaune poussin, une mauve, une pourpre, une noire ainsi qu'une bleu ciel... Et mes orteils qui me font atrocement souffrir à cause de toute cette marche.

Avec un soupir, je passe mes doigts sur les pliures des robes. Clairement, je déteste leurs couleurs. Seules la mauve, la noire et la pourpre me plaisent. Seulement, le tissu de la noire est si rêche qu'il me gratte la peau, comme si on la frottait avec du papier de verre.

- La pourpre t'irait bien.

Avec un sursaut, je me retourne vers Theresa. Adossée à la chambranle de la porte, elle observe les robes d'un air nostalgique voire mélancolique, même si j'ignore pourquoi. Ses cheveux clairs et lisses sont détachés, tombant en cascade sur ses épaules pâles et parsemées de grains de beauté.

- Tu te planques pour m'observer, maintenant ? lancé-je d'une voix légèrement sèche.

- Non, soupire-t-elle en glissant ses mains dans les poches arrière de son jean. Mais choisir sa robe de bal, c'est quelque chose que j'aurais aimé faire avec ma mère.

Je hausse les sourcils, plutôt surprise par son aveu. Theresa ne parle que très peu de ses parents. Pour preuve, je ne les ai vu que deux fois en dix-huit ans. Je sais qu'elle n'a plus contact avec eux depuis que mon père et elle ont divorcé ou quelque chose comme ça, sans en savoir clairement la raison. À vrai dire, c'est plutôt vague dans ma mémoire : à cette époque-ci, je voyais moins ma mère. Mon père passait ses journées à pleurer et se lamenter ou presque, et moi je le voyais s'effondrer comme le ferait un bâtiment trop ancien dont on ne s'est pas assez occupé. J'avais beau être une gamine, mon esprit de petite fille était assez mature pour comprendre une chose : si papa pleure et que maman n'est pas là, c'est qu'il y'a eu une connerie irréparable.

Et si mon père a pardonné cette connerie, moi, je ne l'ai pas fait. Je n'ai pas oublié ce jour où mon père et moi cuisinions ensemble, quelques semaines à peine après la tromperie de Theresa. On ne parlait pas. Je remuais la sauce, il coupait des carottes. Et d'un coup, il a lâché son couteau, puis est parti en courant dans le couloir. Je l'ai suivi, pensant qu'il s'était blessé.

Il était blessé oui, mais pas au doigt. Il l'était dans son for intérieur. Il avait commencé à pleurer, puis il a commencé à cogner son crâne contre le mur, en geignant de douleur à chaque nouveau heurt. Sans comprendre pourquoi, j'ai fait comme lui. Lorsque mes parents se sont séparés, je n'ai pas pleuré une seule fois. Mais ce jour où j'ai compris que ma vie n'est plus et ne redeviendra jamais comme avant, et que j'ai bêtement pensé que mon père ne sourirait plus, j'ai pleuré. Comme un bébé qu'on prive du sein de sa mère.

HEATHER FAYCE [TERMINÉ]Where stories live. Discover now