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Ce matin je me réveillai le cœur léger. Je planais sur mon petit nuage et rien ne pouvais ôter le sourire sur mon visage. Les yeux pétillants et les lèvres étirées dans une grimace de joie, je me sentais revivre. La voix exécrable de ma geôlière resonna dans l'air, m'hurlant de me lever. Je sautais de mon lit, enfilait rapidement un jean usé. Je passais la porte en endossant mon pull orange criard. Le soleil éclairait la plaine que j'admirais par la fenêtre. Ses rayons m'éblouirent et mes yeux baignèrent un instant dans un désert de lumière.

Une paire de claques me rappela sur Terre. Les joues rougies par les marques de coups et mon œil encore noir de la veille, coloraient mon teint bronzé. Mes lèvres toujours bloquées dans un sourire radieux je plongeais les mains dans l'eau sombre, et j'agitais mon vieux tee-shirt dedans, en guise de serpillère. Je frottais le carrelage de la cuisine, enlevant toutes les pelures de patates coincées dans les joints. Mes mains s'affairaient sur le sol et mon dos s'éffritait doucement. Mais je ne disais rien. Planant dans mon bonheur.

Ma tâche ingrate terminée, je me dépêchais de m'enfuir vers le débarras. Je mettais mes baskets grises au pieds et filait en courant dehors. Je passais en coup de vent devant la marâtre. Celle-ci affichait une mine dégoutée en me regardant passer. À peine je franchissais la porte qu'un énorme bruit d'os brisés envahit la cour. Ma colonne vertébrale se fissura et mes muscles se déchirèrent sous ma peau. Mon menton s'écrasa contre le béton et les larmes me montaient aux yeux. Je sentais de vilaines mains me saisir par le col et me balancer avec violence contre le mur. C'était le plus vieux de l'orphelinat. Un jeune adulte de 21 ans, qui n'avait guère mieux à faire que de me briser le corps. Kabuto Yakushi. Son sourire mauvais m'agressa la rétine et je fermai fortement mes paupières, priant pour qu'il passe son chemin. Il était terrible avec moi, et même la douce image de Sasuke ne pourrait vaincre cet homme. Il enchaîna les coups de pied, dans le ventre, les jambes, le visage. Il en riait, un fou rire malsain et inarrêtable. Je sentais mon cœur palpiter, et tous mes muscles se tendre. Mes yeux s'embrouillaient, Kabuto était tellement violent. Il enfonçait son pied au fond des mes côtes et les écartait sans pitié. Mon ventre devait être violet et mon visage brûlant de sang. Mes larmes ruisselaient sur mes joues et il ne s'arrêtait pas. J'eus beau implorer sa pitié, en hurlant à m'en déchirer les cordes vocales, rien ne cessait. Il ouvrit alors sa bouche ideuse pour articuler quelques syllabes dégoûtantes :

— Bah alors le monstre ? On chiale ? T'es mieux comme ça qu'en souriant comme une gonzesse. 3 jours que tu te pavannes avec cette grimace idiote. Même avec ton bonheur tu nous pourries la vie. Crois-moi la souffrance te va bien mieux.

Et il deignait enfin laisser mon pauvre corps en paix, sur le sol poussiéreux de la cour de l'orphelinat. Je peinais à me relever, me tenir debout sur mes jambes brisées. Les larmes aux yeux et les lèvres en sang, je puisais dans mes dernières forces pour courir vers mon arbre fétiche. Perché en haut de la plaine, entouré de hautes herbes dorées, mon petit coin de paradis. Je m'asseyais mollement contre le tronc, en position fœtale. Je gémissais et sanglotais en sentant la douleur me saisir le ventre avec violence. Elle m'étreignait de toutes parts et rien ne la faisait fuir. Pas même le visage de Sasuke.

On était dimanche. Mon jour de liberté. Le seul de la semaine, le plus sacré. Et Kabuto venait de me l'anéantir en quelques secondes. Il avait massacré mon corps et j'entendais déjà les ragots du lendemain : "T'as vu ça ? Il s'est fait battre !", "C'est tout ce qu'il mérite","Cette enflure l'a bien cherché quand même", "C'est ce qui arrive quand on tourne trop autour de Sasuke...".

Sasuke.

Que penserait-il de moi ? Un être si misérable qu'il ne peut se défendre. Une chose insignifiante battue à mort le jour du Seigneur. J'étais faible, dégoûtant, immonde. Et même Sasuke s'en rendrait compte. Tôt ou tard il m'abandonnerait comme tous les autres. Il me rejetterait, sans pitié, sans remords. Je pensais fortement que sa prouesse de la dernière fois, celle de s'opposer à Sakura pour me "sauver", n'était que pour calmer sa conscience affectée par ce pitoyable spectacle. Cette réflexion m'acheva et je laissais à la douleur tout droit sur mon corps.
Cela partit de la tête, puis le cœur, et le ventre. Comme si on m'écartelait, comme si mon corps se faisait démembrer. Je connais ce sentiment par cœur. Je le connais tellement bien qu'il a emménagé avec moi. Tout au fond du cœur, à gauche. Il tambourine violemment, et son sourire narquois se moque de moi.
L'abandon.
N'y avait-il pas pire sentiment au monde que celui d'être abandonné ?

Personne ne répondit à ma question. Et je rentrais silencieusement à l'orphelinat, prêt à recevoir des coups de savate.
Je m'endormis finalement sur mon misérable lit, et attendait le lendemain avec appréhension.
Le sommeil, lui au moins, ne venait pas me tourmenter pendant des heures.

Le cauchemar de ma vie, lui, ne me laissait aucun répit.

Au gré du ventWhere stories live. Discover now