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Les coups de savates me réveillèrent brutalement. La voix criarde de la directrice résonna dans ma boîte crânienne, percutant mon cerveau violemment. Les ordres fusaient dans la pièce, les sols à laver, le linge à frotter, les murs à dépoussiérer, la vaisselle à ranger, le repas à préparer. Une matinée bien chargée s'annonçait, et le soleil n'était même pas levé. Seul les faibles rayons de l'aurore qui franchissaient les hautes montagnes de la vallée éclairaient mon cagibi. Ils caressaient tendrement ma peau, tel un geste tendre, maternel. Je me mis à genoux sur la paille de mon matelas, essayant d'atteindre le cadre de la fenêtre. Je forçais encore sur mes petits bras pour apercevoir davantage la lumière divine. Il n'y avait pas de plus beau spectacle dans ce monde que l'apparition du soleil dans le ciel carmin de l'aube. C'était un événement fabuleux, qui chaque jour se répétait inlassablement, en étant toujours plus beau que les fois précédentes. Les étoiles et la lune, s'effaçaient pour laisser place au règne du soleil, le plus grand astre de notre système solaire. Je me demandais parfois, si un jour l'humanité prendrait conscience de la beauté de cet univers. Le claquement du martinet souffla dans l'air, et la douleur contre mon dos me sortit de mes agréables pensées.

— T'as bientôt fini de rêvasser féniasse ! Le ménage va pas se faire tout seul ! Aller remue toi avant que je te fasse vraiment mal ! Hurla la voix de madame Shita.

Ses yeux sortaient de leurs orbites, ils me fusillaient, me jurant mille et une souffrances si ma carcasse ne bougeait pas de la paille. J'obéis silencieusement, avançant à pas saccadé dans les couloirs gris de l'orphelinat. Mes pieds nus percutaient le sol froid et sale de la cuisine. Je sentais le carrelage glacial incisé ma peau pour laisser la fraîcheur s'infiltrer, et mortifier mon corps.

Je me précipitais vers la porte en bois tout rugueux à côté de l'évier. Je l'ouvris brusquement pour saisir le chiffon parsemé de trous à divers endroits de sa couture bleue blafarde.

J'arrêtais ma tâche quand madame Shita fut satisfaite et cessa de bombarder mon dos de coups. Je passais ma matinée à travailler, sans jamais m'arrêter. Je ne vis les éclats du soleil qu'au travers des fenêtres grisâtres. Ils éclairaient faiblement le papier peint usé et déchiré des murs de la bâtisse. L'orphelinat était un endroit lugubre, sombre, et parfois il me donnait des cauchemars. Le clocher sonnait midi quand mes mains baignaient dans l'eau grasse de la cuisine.

Je me dépêchais de finir, bientôt l'après midi commencerait et je rejoindrais Sasuke dans le village. J'avais attendu cela toute la nuit, toutes les heures, et maintenant, je redoutais ce, rendez-vous ?

Je me dépêchais d'enfiler un pantalon tout noir et vieux comme le monde avec mon éternel pull orange.

J'avais demandé à Sasuke ce rendez-vous, alors pourquoi j'angoissais ainsi ? Je collais mes mains moites à mon jeans, mon cœur palpitait contre mes os, et mes tripes me faisaient si mal que j'aurais pu me plier en deux. Je m'approchais de la porte d'entrée à pas de loup. Si la directrice m'aperçevait maintenant, elle me donnerait des corvées pour m'empêcher de sortir.

Et moi, je voulais voir Sasuke, plus que quiconque dans ce monde.
Et après réflexion je n'avais personne d'autre que lui.

Une fois dans la cour, je longeais les murs, priant tous les dieux pour que personne ne me remarque. Je me dépêchais de franchir le grillage rouillé de l'orphelinat, et je m'élançais dans les rues de Konoha. Bien vite mon corps me rappela que j'étais faible et que je n'avais que la peau sur les os. Je calmais ma respiration, cependant mon cœur lui n'en faisait qu'à sa tête. Il me tiraillait la poitrine comme si cela n'était qu'un jeu.

Et cette sensation se dégrada encore plus quand j'aperçus la silhouette élancée de Sasuke. Assis sur la fontaine de la place centrale du village il semblait perdu dans ses pensées. Plus je m'approchais de lui, plus mon cœur me malmenait. Je sentais que quelqu'un s'amusait à broyer mes tripes et à brûler mes poumons. Et je ne comprenais pas.

J'observais le doux visage de Sasuke, ses cheveux corbeaux caressant son visage opalin. Je me perdais dans les abysses de ses yeux, celles ci m'entraînant toujours plus vers les ténèbres. Je sentais mon muscle vital s'envoler pour rejoindre la profondeur de ses deux billes de néant. Les joues rouges et le souffle court, mon corps se rapprochait du sien, je me sentais perdre le contrôle. Je voulais posé ma main sur son épaule, mais le rejet me fit trop peur alors je me contentais d'une banale formule de politesse.

— Bon... Bonjour... Sa-Sasuke ! Tentai-je de m'éxclamer mortifié par la gêne.
— Pas trop tôt la pleureuse, ça fait 10 minutes que je t'attends. Me fusilla-t'il du regard, mécontent.

Je baissais le regard, cet après midi commençait très mal. Si dès le début je détruisais tout, ne valait-il pas mieux renoncer ?

— Par-pardon Sasuke... Je... J'étais oc-cupé... Je ... Je peux pa-partir si tu-tu pré-fères... Formai-je difficilement, mes yeux fixant mes pieds.
— On dit pas pardon.

La voix de Sasuke, elle était vraiment magnifique. Même quand elle disait des choses que je ne comprenais pas. Je n'osais pas le regarder. Mais je sentais ses doigts purs me relever brusquement le menton. Mon regard se plongea dans le sien si attractif.

Je vis ses lèvres bouger, des simples mouvements qui me faisaient frissonner.

— On dit merci, merci de m'avoir attendu, et pas, pardon d'être en retard. Retiens ça la pleureuse.

Je compris que mes yeux s'illuminaient de bonheur quand son rictus moqueur s'installa sur ses lèvres rouges, celles que j'avais envie de toucher, sans comprendre pourquoi.

— Alors la pleureuse, t'as prévu un truc pour cette sortie ?
— Il ... Il faut que... Que je te mon-montre un... Un endroit...

Il releva un sourcil avant d'hausser les épaules et de me demander de le guider. Nous remontions les rues de la ville, personne ne parlait. Je n'osais pas briser ce silence reposant. Pour une fois que personne ne me criait dessus, j'en profitais. Je jetais de temps à autre des petits coups d'oeil à Sasuke. Il avançait la tête haute, le dos droit, fier d'être lui. Et j'espérais un jour, pouvoir lui ressembler, ne plus avoir honte de moi.

Or je ne me faisais pas illusion, j'étais un monstre, il était un prince, nous ne jouions pas dans la même cour.

Bientôt les façades en briques de mon orphelinat apparaissait et je priais pour que la directrice ne soit pas dehors. Je me cachais dans l'ombre de Sasuke en rentrant les épaules. Mais il se décala pour pointer du doigt la vieille maison.

— C'est là que tu vis ? Me demanda-t-il tout simplement.
— O-oui, affirmai-je incertain.
— C'est moche. Tu te sens bien là dedans ?

Je n'eu pas le temps de lui prouver le contraire que Kabuto faisait son apparition dans l'angle de la cour. Il me vit au loin, un sourire carnassier plaqué au visage. Il s'approchait dangereusement de nous.

Il me saisit le bras, en appuyant tellement fort que je ne pus retenir une grimace de douleur.

—  T'étais où ? Je te rappel que t'as du taff ! Donc tu dis au revoir à ton copain ou qui que ce soit d'autre et tu vas bosser !

Je hochais vivement la tête priant pour qu'il me lâche. Il me traîna de force vers l'orphelinat et je voyais au loin le visage déconfit de Sasuke. Je lui sourit gentiment essayant de lui faire comprendre que tout irai bien. Je glissais tout bas un petit au revoir et je ne su jamais s'il l'avait entendu. Il haussa les épaules et parti sans se retourner. Ma vie n'était pas son problème. Je sentais mon cœur se briser un petit morceau dans ma poitrine. J'avais l'impression que depuis que Sasuke était là, il ne faisait que ça. Se briser, puis recoller les morceau avec des bandes adhésives. Mais cette sensation, de tout réparer avec lui était si bonne, jamais je ne m'en lasserai. Même si pour ça je devais perdre mon cœur un milliard de fois.

Ce sentiment, quel qu'il soit, était une douce torture.
Tout allait mal.

Mon après midi de répit auprès de Sasuke venait de s'envoler. J'avais fini de consommer ma bulle d'oxygène. Il était temps de retourner sous l'eau, de faire ce pourquoi j'étais né.

Obéir et prendre des coups.
Et la nuit fut si longue, que même le visage de Sasuke sous mes rétines ne pouvait soulager la douleur du manque.
La douleur de son absence.

Au gré du ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant