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Les heures filaient à grandes vitesses. Pour une fois, ma journée au lycée était agréable. Assis à côté de Sasuke, je l'admirai silencieusement en train de gribouiller sur sa feuille de SVT. Il avait réalisé et réussi le TP en moins d'une demi-heure. C'était devenu mon activité favorite, le regarder. Et je ne voyais plus le temps passé. Je pourrais rester des jours et des nuits à l'observer que jamais je ne me rendrai compte qu'autant de temps était passé. Chaque jour il commençait une nouvelle œuvre sur le bord de son cahier de maths, d'allemand ou bien de philosophie. Parfois il ne traçait qu'une vague ombre de quelque chose, ou bien il réalisait un portrait ou un paysage qui lui tenait vraiment à cœur. Avec les minutes passées à l'observer, j'avais vite remarqué que les deux mêmes oeuvres revenaient souvent : son frère, Itachi et un manoir, tout délabré et ensanglanté. Ce dessin là me faisait frissonner et glaçait mes os d'un effroi, comparable à la mort.

Je détournai les yeux de Sasuke pour observer les gestes lent contre le tableau à craies de Kurenaï-sensei.

Demain ce sera le weekend. Et je serais certainement de corvée de ménage. Mais si je me dépêchais, je pourrais demander à Sasuke de passer un peu de temps avec moi ! Je devins tout euphorique à cette idée. Oui j'avais vraiment envie de rester avec lui tout un après midi à parler de tout et de rien. Il me raconterait sa vie, ses envies, ses rêves. Et je l'écouterais parler encore et encore. Ou bien serait-ce l'inverse ? Je parlerais pendant des heures et lui m'écouterais jacasser en griffonant sur un cahier. Peut être aurait-il l'envie de me dessiner sur son papier blanc. Il gribouillerait habilement mon visage tout rouge à cause de la chaleur, ou bien à cause de sa tête posée sur mon épaule ? Je rougis en imaginant cette scène, je plongeais ma tête entre mes bras, étendus sur la table. Je pensais vraiment à des choses bizarre, surtout en plein milieu du cours de SVT. 

Je jetais un coup d'œil à Sasuke, endormi sur sa feuille. Il avait rejoint les bras de Morphée si vite. Je retraçais les courbes de son visages inlassablement. Il était magnifique, parfait, beaucoup trop de choses biens pour moi. J'hésitais à passer ma main dans ses sombres cheveux. Cette douce masse qui contrastait violemment avec son visage clair. La sonnerie retentit et régla la question pour moi.

Ses yeux papillonèrent doucement, ses cils tapant silencieusement sa peau de porcelaine. D'abord hagard, il sembla chercher ses repères. Ses yeux noires glaciales rencontrèrent les miens, brûlant de gêne. Je l'avais regarder durant des heures à son insu, n'était-ce pas malsain ?
Je rougis un peu plus en le voyant s'étirer comme un chat, levant les bras le plus haut possible, laissant ainsi son tee-shirt noir découvrir son bas ventre, ses hanches, cette peau, ce péché. Je détournais vivement le regard, les joues rouges. Il avait un corps parfait, et j'avais posé mes yeux sales sur lui. Comment pouvais-je le salir ? Lui si pur, et moi si abject. Lui si beau, et moi si laid. Je baissais la tête, fixant mes pieds, en me flagellant mentalement. Je vis alors la main de Sasuke s'approcher de mon visage. Je me décalais vivement, effrayé. Non je ne pouvais pas salir une autre personne, surtout Sasuke. Il afficha une tête blasé et avec un soupir maussade, haussa les épaules. Je ramassais précipitamment mes affaires honteux, honteux d'être moi. Je jetais mon sac sur mon épaule et sortis sans plus attendre de la salle. Mais dans mon élan, mes pieds se mélangèrent et je m'éffondrais au sol, juste devant Neji. Celui-ci me lança un regard dépité, avant de me donner un grand coup de pied dans la tête. Il se tourna vers Sasuke narquois :

— Bah alors Uchiwa ? On aide pas sa petite pleureuse ? Ricanna-t'il avant de me rouer de coups.

J'attendais que ça passe, qu'il se lasse, et qu'il parte. Mais cela semblait sans fin. Les autres riaient à gorge déployée et Neji me faisait toujours plus mal. Les larmes dévalèrent sur mes joues en cascade, je ne m'arrêtais pas de pleurer, et d'avoir mal. Si mal. Et Sasuke qui ne bougeait pas, il observait la scène sans désserrer les dents. Mon cœur se brisait en petit morceaux, et j'avais la douloureuse impression que Sasuke le broyait dans sa main. Je fermais les yeux pour ne plus le voir, il était mon seul ami, et je l'avais perdu. Je le savais de toute manière, un monstre ne peut pas avoir d'ami. Les larmes ne s'arrêtaient pas, coulant toujours plus vite, plus fort et toujours plus nombreuses, contre mes joues striées de cicatrices. Celles qui faisaient de moi un animal. Mes yeux tournèrent dans leurs orbites, et j'avais chaud à la tête. Bientôt un goût métallique se glissa dans ma bouche. Il inondait mes papilles, il était mauvais, mon sang. Même mon corps était dégoûtant.
Je sentais mon âme vacillée et bientôt elle tomberait dans le noir, dans les abysses de mon cœur, là où il fait trop sombre, même pour une lumière comme Sasuke. Il n'avait toujours pas bouger, il me regardait, pleurer, me ridiculiser devant des adolescents ignorants.

Enfin les coups s'arrêtèrent et mon diaphragme reprit son rôle. J'avais arrêté de respirer. Pourquoi ? Pour mourir ? Même mon corps voulait m'abandonner ? Cette certitude me faisait si mal.

Sasuke fit quelques pas vers nous, bientôt mon front toucherait ses baskets. Je ne voyais rien, mais imaginer qu'il foudroyait Neji du regard me comblait d'une douce chaleur enivrante. Sa voix rauque résonna dans l'air :

— C'est bon t'as fini ? À mon tour maintenant.

Et son crochet droit frappa Neji de plein fouet, il s'effondra au sol, sonné. Mais Sasuke ne s'arrêta pas là, il le détruisait, il l'aneantissait sans scrupule, il allait même peut être le tuer à ce rythme là. Jamais je n'avais vu autant de fureur dans les yeux d'homme.

Et je su, à ce moment là, que je n'avais rien d'humain.

Je prenais plaisir à voir souffrir Neji, le voir à terre, à ma place habituelle. Je me sentais puissant, et je comprenais alors le besoin de ces adolescents de me mettre à genoux devant eux. Ils avaient besoin d'exister, de se sentir vivre, d'être quelqu'un au milieu de ce monde tout blanc ou tout noir. Je comprenais leur besoin de devenir une couleur, pour dominer le reste de ce monde incolore. Ils avaient besoin, de se sentir supérieur, à quiconque montrant un signe de faiblesse.

Je me perdai dans le fil de mes pensées et la main de Sasuke, tendue juste devant mon visage collé au sol, me réveilla de ma transe philosophique. J'hésitais à la prendre cette main. Elle était pure, sainte, salvatrice. Et la mienne n'était que malheur et immondices. Je doutais, et Sasuke s'impatientait.

— Tu la prends cette putain de main ? Ou faut que je te traine en dehors de ce bahut par la peau du cul ? Me cria-t'il à bout de patience.

Je sursautai, et mon cœur parla pour moi, je saisis sa main. Il me tira violemment contre lui et j'heurtai son torse de plein fouet, je n'avais jamais remarqué comme il était large et puissant. Je mourais d'envie de passer mes doigts dessus, et je rougissais à cette idée saugrenue.

Oui j'étais vraiment bizarre, et je n'avais rien d'humain.

Sasuke embarqua nos affaires et me traîna en dehors du lycée par la capuche de mon sweat. Bientôt on se retrouvait dans la rue à marcher côte à côte, en silence. Je le trouvais agréable pour une fois ce silence. Bientôt l'intersection de notre séparation ferait son apparition. Sasuke tournerait à gauche dans la descente, et moi à droite dans la montée. Il ne restait que quelques mètres avant ce passage que je trouvais plus douloureux à chaque fois.

Soudain Sasuke s'arrêta et fixa mon visage. Il passa sa main sur ma paumette, et je le laissais faire, à quoi bon se battre contre lui, il était si têtu. Je grimaçais quand il appuya un peu plus, et je ne doutais pas de la couleur violette que prendrait mon corps dans quelques heures. Sasuke soupira et continua son chemin. Il ne se retourna pas. Le cœur tambourinant dans la poitrine je me jetais à l'eau :

— Sa.. Sasuke !

Il se retourna, étonné. C'était la première fois que je passais la barre des 40 décibels.

— Est... Est-ce que tu veux... Tu veux bien passer l'après midi avec... Avec moi demain ? Demandai-je le cœur bourré d'espoir.

Sasuke me fixait, les yeux ronds. Puis il pouffa, pas de manière excessive, mais c'était la première fois que je le voyais exprimer un semblant de rire.

— Si tu veux la pleureuse. Aller bye !

Et il me tourna le dos pour avancer, sans se retourner.

Dans ce monde tout blanc ou tout noir, moi j'étais juste noir.

Et Sasuke l'unique point lumineux de toute la galaxie.

Au gré du ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant