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Azuma-sensei nous expliquait avec ferveur le calcul des équations du second degré.

Le soleil illuminait le visage pâle de Sasuke, endormi sur sa table. Ses mèches sombres encadraient sa mâchoire. La brise passant par la fenêtre ouverte, secouait parfois ses cheveux corbeaux et les faisait s'échoués contre ses paupières. Il ne semblait pas dérangé par cette infime pression contre sa peau. Les paroles de notre professeur l'avaient bercé doucement dans un profond sommeil et rien ne semblait le perturber. Pas même le chant des oiseaux, posés sur la cime des arbres. Il remua légèrement pour enfoncer davantage sa tête dans le creux de son bras. Il était si beau et affichait une mine si paisible. Je détaillais son visage imberbe, cherchant la moindre imperfection. Il fallait me rendre à l'évidence qu'il n'en possédait aucune. Il était sûrement un descendant direct d'Adam, ou bien créé par Dieu lui même. Le souffle qui sortit d'entre ses lèvres percuta mon visage, tout près du sien. Des milliers de frissons parcoururent mon corps en un instant. Ma poitrine fut secouée par de minuscules soubresauts. Et mon cœur fut perturbé par toutes ses sensations procurées par un seul petit souffle. Je m'approchais encore un peu de son visage, observant ses pommettes rosées par la chaleur de la fin de ce mois d'octobre. Il faisait encore si chaud pour cette saison. Ou bien était ce moi qui me consumais de l'intérieur, en fixant ses magnifiques lèvres rouges, unique tâche de couleur de ce magnifique tableau.

Je rougis en pensant à ce sourire sarcastique qui régnait en maître sur ces chaires si attirantes. Cette courbe de peau rouge d'une infinie douceur, sorcière d'envie et de plaisir. Je me reculai brusquement, le souffle court, la poitrine comprimée dans mon sweat orange. Je me fis tout petit sur ma chaise les mains dans les poches.

Et si quelqu'un m'avait surpris en train de penser à ça ?

Je jetai un coup d'œil en direction de Sasuke, ces orbes de néant amusés. Il se redressa lentement sur un coude, collant son menton sur sa paume. Ses coins de lèvres se relevèrent doucement, dans une lenteur insupportable. Je ne pus empêcher mes yeux de fixer ses courbes vermeilles. Il plongea son regard noirci de mystère dans le mien, avide de lui. Il se pencha davantage sur moi, malicieux. Il me dominait d'une bonne tête et son souffle brûlant percutait mes joues toutes rouges. Il se rapprocha encore, toujours plus, semblant chercher quelque chose. Il colla presque son front au mien, je fermai les yeux si fort essayant d'oublier ce moment inconfortable. Une part de mon âme espérait qu'il caresserait ma joue avec son index. L'absence de chaleur me réveilla et j'ouvris à nouveau les yeux pour le découvrir en train de dessiner sur son cahier, tout juste sorti de son sac, celui-ci posé contre ma chaise.

Mon cœur se serra, j'avais tant cru que nos souffles se mélangeraient. Mon visage se décomposa lentement et la douleur fit surface. Cinglante et puissante, elle ravagea le pansement de mon âme. Il était si cruel, mes cicatrices cardiaques me démangeaient encore. Je voulais plonger mes doigts tout au fond de ma cage thoracique pour empoigner fermement ce muscle maudit et le broyer moi même. Je ne voulais pas qu'il le maltraite, pas lui. Il ouvrait petit à petit mon cœur pour y enfoncer des aiguilles aspergées de poison. Mon muscle vital fondait langoureusement pour ces mains blanches, vierges de tous péchés. Ma poitrine me brûlait douloureusement. Mon cœur tombait en éclats entre ses mains, il jouait avec les derniers morceaux, ceux gorgés du peu de vie qu'il me restait.

Pourquoi mon corps réagissait-il comme ça ?
Pourquoi étais-je si, déçu ?

Mes yeux se posèrent sur son visage absorbé par son dessin. Je redessinais chaque courbe de sa peau, chaques détails, aucun ne m'échappaient. Je tatouais son être sur mes rétines, et c'était très douloureux. Je n'avais plus aucun contrôle sur moi-même, je voulais le regarder, l'admirer, l'idolatrer, encore et toujours, toujours plus. Je ne me lassais pas de son visage, de ses épaules sous sa veste noire, de ses poignets s'agitant sur le papier grisé à coup de critérium.
Jamais je ne pourrais me détacher loin de lui, toujours je voudrais rester auprès de lui.

La sonnerie retentit sourdement dans mes tympans et me sortit violemment de ma rêverie. Combien de temps l'avais-je regarder ? Je m'accrochais encore à son corps souple qui s'enfuyait entre les tables de classe. La réponse vint seule, pas assez. Je m'empressais de le suivre esquivant les croches pieds et les coups de poing volant sur moi. Je rentrai la tête dans les épaules et fixai le sol, j'espérai calmer leur fureur en me soumettant à eux.
Ça ne fit qu'empirer.

Ils se regeoupèrent à huit, m'encerclant au bout d'un couloir. Ils me balancèrent contre les murs avant de me projeter au sol. Ma tête percuta le parquet et le choc fut si violent que je poussai un cri de douleur. Je me recroquevillai en position fœtal, attendant que l'orage passe. Leurs pieds s'enfonçaient dans mes côtes, leurs mains s'abattaient sur mon crâne, ils me coupèrent la respiration. Je cru m'évanouir sous la douleur, mais mon corps ne céda pas. Cela sembla agacer mes bourreaux qui redoublèrent d'effort dans leur tâche. Ils s'appliquèrent davantage à me donner des coups, visant le plexus et la nuque. Leurs insultes formèrent un joli poème qui ne connaissait pas de fin.

Ils partirent enfin, satisfaits de leur œuvre d'art. Appuyé contre le mur, la tête enfoncée dans les genoux, la douleur lacérant mon crâne, je laissais libre court à mes larmes.

Pourquoi continuaient-ils ?
Prenaient-ils un malin plaisir à me faire souffrir ?

Je sentis soudainement le poid d'une épaule contre la mienne. Sasuke se tenait là, collé à mon corps, tout près de mon visage couvert d'ématomes, une canette de soda à la main.

- Tiens, je me suis dis que t'en aurais besoin, dit-il en me tendant la boisson.

Il me donnait l'envie de rire. Un petit ricanement s'échappa d'entre mes lèvres. Je saisis la boisson et la bus en silence. Une fois fini j'allais me lever pour la jeter. Je m'asseyai à nouveau contre Sasuke, ses mèches noires cachant ses yeux. Il avait les poings serrés et un grognement lui échappa. Je ne comprenais pas pourquoi il était tant en colère. Plongé dans mes réflexions, je ne le vis pas se déplacer. Mais sa main caressant doucement mon crâne, elle je la sentis. C'était si réconfortant, je me collais davantage à lui, grapillant de sa chaleur corporelle. Il me prit alors contre lui et agita des bandes de straps sous mon nez.

- T'en auras besoin aussi. Affirma-t'il en me pointant d'un mouvement de menton.

Il banda mes plaies en douceur veillant à ne pas me faire mal, comparé à beaucoup d'autres. Il toucha ma peau délicatement et encerclait mes bras de ses mains. A chacun de ses contacts mon épiderme s'agitait et des milliers de frissons parcouraient ma peau. La tâche accomplie je le remerciai grandement en lui sautant presque au cou. Jamais personne n'avait eu de tels gestes si tendres à mon égard.

- Sasuke, je... Je crois bien, qu'on est... On est ami, pas vrai ?

Il se retourna vers moi semblant étudier la question. Il affichait alors un rictus narquois avant de me répondre, amusé :

- Ami ? Ouais pourquoi pas ça peut être divertissant.

Mes yeux se remplirent de larmes, mais jamais mon sourire ne fut si grand.

Au gré du ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant