Chapitre 15 - Corrigé

1.2K 109 16
                                    

Mes oreilles chauffaient depuis que les masques étaient tombés. La maquerelle me balança un bol en bois avec une répugnante bouillie de céréales. Son air manipulateur ne laissait plus de doutes quand à la cruauté de cette femme.

- En quelle année sommes-nous ? Questionnai-je prudemment avec espoir.

- 1787 mais qu'est ce que ça peut te faire hein ?

- Je pensais que le roi avait interdit la prostitution depuis 1778... priai-je pour moi même que cela soit réel.

L'horrible femme s'esclaffa d'un rire mauvais qui se finit par une quinte de toux grasse.

- Ma jolie, même les gardes viennent à la maison. Jamais il n'arrêtera le plus grand commerce de France et encore moins depuis que ce récipient en mouton, la redingote anglaise, empêche d'avoir des mioches !

Elle continua de rigoler tout en me surveillant d'un mauvais œil. Dès qu'une fille entrait, marquée au cou ou aux poignets, elle la renvoyait sous des insultes. Et dès que la porte s'ouvrait, les cris des étages supérieurs nous parvenaient pour accentuer mon malaise. Même la chaleur du feu me semblait menaçant à présent.

- Tu vas devoir payer ta dette, ce n'est pas gratuit le souper et le toit dont tu profites allègrement.

Cette femme était terrifiante et en digne maquerelle qu'elle était, elle avait repéré la pauvre fille seule dans la rue pour l'attirer dans ses griffes. La triste vérité est que les femmes de rue qui rentraient dans les bordels en espérant faire fortune, en ressortaient plus pauvres qu'avant avec l'achat des soieries et des dentelles pour plaire aux clients. Je me forçai à avaler l'immondice plâtrée du bol pour l'amadouer, la laissant croire en ma docilité. Elle me toisait sans cesse ; alors lorsqu'elle se retourna pour puiser de l'eau, la peur tiraillant mon ventre me donna le courage de me faufiler vers le seul chemin possible. C'était maintenant ou jamais. A peine eu-je franchi deux mètres qu'on me tira violemment en arrière par les cheveux. Je m'écrasai sur le sol aux pieds de mon agresseur, le cuir chevelu en sang. Une poignée de mèches rousses voltigèrent à mes côtés.

- Ne pars pas si vite ma j'lie, je ne veux pas t'abimer avant nos clients, susurra son haleine âpre tout près de mon nez.

Ce que j'avais trouvé de beau sur son visage laissait à présent place à du dégoût. Son teint blafard ne laissait pas de doute quant aux boutons qui lui démangeaient la peau, et ses yeux vitreux laissaient voir la myopie qui l'aveuglerait bien assez tôt. Je tentai de me redresser en laissant une plainte poindre lorsque ma main prit appui sur mon épaule blessée. Les larmes menaçaient de déborder face à cette impuissance. Je m'étais trompée, ce siècle n'avait rien de beau. Il était cruel et cupide. Mais en réalité, avions nous réellement changé dans celui que j'appelais « le mien » ?

La crainte se transforma en colère. En une colère si puissante qu'elle me tordait de l'intérieur. Une colère nourrie par l'injustice et l'atrocité de l'espèce humaine. Dans un râle libérateur, je sortis le poivre de mon sac pour lui brûler son regard avare. Son cri n'eut que l'effet d'augmenter ma rage et je saisis, dans la seconde suivante, la bassine en métal emplie d'eau pour lui frapper la tête de toutes mes forces. La douleur de ma clavicule n'était plus rien face à ma douleur interne, face à la douleur de ces filles de seize ans obligées de monnayer leur corps. La maquerelle n'eut que le temps de jurer que je réitérai mon coup en transe. Son corps s'avachit sur la table, inconscient, pour ensuite finir au sol à mes pieds mouillés. Les rôles étaient inversés.

Je lâchai mon arme dans un vacarme et me mis à courir le plus rapidement possible vers la porte. Personne ne remarqua la fille aux cheveux poisseux occupée à prendre la fuite, trop aveuglé par leur désir égoïste. Je voulais mettre le feu à cet endroit et à tous les autres de ce

A l'égard du TempsWhere stories live. Discover now