Chapitre 32 - corrigé

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Le Vicomte contemplait le globe très attentivement et me fit signe d'approcher. Tout semblait en ordre lorsque ma peau entra en contact avec la sienne. J'étais là où je le devais.

-Si ce que vous dîtes se réalise, nous partirons pour la Nouvelle France. Juste ici.

Du bout de mon index, il me montra le Québec et en longea la côte pour remonter jusqu'à Terre Neuve.

-Vous vivrez enfin votre aventure et sortirez de votre quotidien bien morne, le taquinai-je lovée contre lui.

Lorsque mon regard fut attiré par un mouvement extérieur, je vis que la petite cour avait été transformée en un véritable atelier. Un chevalet soutenait une toile et faisait face à un fauteuil vert brodé. La lumière qui filtrait des branches créait d'harmonieuses ombres sur la scène. De l'autre côté, un homme aux cheveux aussi blancs que la neige préparait une palette de nuancier et étalait toutes sortes de pastels. A notre approche, il se courba comme il le put en une révérence et détailla dans le moindre détail ma personne.

-Elisabeth, je vous présente Maurice de La Tour, portraitiste pastelliste reconnu. Monsieur de La Tour n'exerce plus mais il fera une exception pour vous. Il a réalisé avec exactitude les portraits de toute notre famille.

Le portrait, jugé comme la plus noble des peintures pour sa représentation de l'humain et de l'âme, était l'un des plus beaux cadeaux de l'époque. L'idée de poser pour ce peintre m'enchanta tout de suite, ne pas être oubliée de l'homme que j'aimais grâce à son talent.

-Enchantée Monsieur de La Tour, tentai-je face au visage de l'homme qui ne se déridait pas.

Le portraitiste ne cessait de me dévisager les sourcils froncés. La gêne prit une place importante en moi et lorsque l'artiste sortit de sa torpeur, son visage se transforma. Une expression chaleureuse prit place dessus et il prit la parole de sa voix chevrotante.

-Je sondais votre âme, Madame. Elle est très belle, voir fascinante si je puis me permettre. Les pastels sauront vous sublimer !

-Les pastels avez-vous dit ? Rebondis-je intriguée par le choix de cette technique vénitienne.

-Effectivement Madame. Monsieur Le Comte souhaite que le tableau soit fini en cette journée-même. Un portrait à l'huile exige plusieurs jours, alors qu'un portrait au pastel n'exige que quelques heures.

Daniel m'escorta jusqu'à l'assise et positionna le chapeau à plumes sur ma tête. Dans ses yeux se lisaient la fierté, il était fier de son cadeau et cela réchauffa mon coeur.

Le travail du peintre prit deux longues heures, deux longues heures sous le regard scrutateur du Vicomte. Les pastels virevoltaient dans tous les sens, se cassaient sur la toile pour mieux les utiliser encore. Le dernier coup fut donné dans un geste théâtral, la main suspendue en l'air tel un chef d'orchestre en transe. Les mains de Daniel se posèrent sur mes yeux et guidèrent mes pas mal assurés.

-Êtes-vous prête Madame ?

Il libéra mon champs de vision pour dévoiler le talent exceptionnel de De La Tour. Le portrait rayonnait de vie. Devant mon mutisme, les regards se tournèrent vers moi.

-Pardonnez-moi, c'est si... magnifique que je n'en trouve pas mes mots, bafouillai-je.

-Merci du fond du cœur, Madame. Vous êtes un sujet vraiment passionnant à peindre.

Je ne pouvais plus détacher mes yeux de cette peinture. Toutes les émotions enfouies qui me pesaient depuis des jours étaient étalées sur la toile. Mais on y discernait aussi un bonheur indicible. Mes yeux dévoraient un point précis, amoureux, avec la certitude que rien ne pourrait leur faire oublier leurs sentiments partagés. Quelques moments de bonheur pour une éternité de souffrance. Absorbée par ce reflet de mon âme, je ne me préoccupais pas du départ de l'artiste. Mon être venait d'être mis à nu de soulagement. Ce portrait avait été retrouvé au Québec, Daniel quittera donc la France. C'était une certitude.

A l'égard du TempsWhere stories live. Discover now