Chapitre 16 - Corrigé

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PARTIE 2 : L'achèvement d'un Temps

Les poches sous mes yeux étaient le fruit de mes innombrables cauchemars. Ceux où je me retrouvais seule, sans voix, au milieu d'une rue malfamée. Chaque fois que je mettais un pied dehors, l'angoisse me donnait des bouffées de chaleur et je suffoquais. Mon inattention faillit me faire tomber de l'escabeau, sur lequel j'étais perchée, pour accrocher l'étoile de Noël sur le sapin avec ma seule main valide. De la fenêtre du salon, j'apercevais mon père ramener du bois pour raviver la flamme de la cheminée. Je me rappelle que l'odeur boisée du feu creusait un trou dans ma poitrine, elle me rappelait l'absence d'une personne.

Notre famille avait toujours eu pour habitude de festoyer en comité très restreint lorsque nous étions encore quatre. A présent, mes parents invitaient leurs amis pour que son absence soit plus acceptable. Jean-Baptiste Rossi avait bien évidemment décliné l'invitation, préférant rester seul en ce réveillon. L'odeur qui titillait mon nez depuis dix minutes fit réagir mon estomac. Je rejoignis ma mère dans la cuisine et admirai son expertise aux fourneaux surtout car j'étais incapable de faire cuire quoi que ce soit sans le brûler au préalable.

- As-tu réussi à mettre l'étoile ?

J'hochai la tête, un doigt planté dans sa pâte au chocolat. 

- Peux-tu installer la table pour neuf ?

Je pris les services qu'elle me désigna d'un signe du menton et disposai le tout dans le salon. La maison avait été décorée spécialement pour les fêtes de fin d'année avec une panoplie de rouge et dorée. Une fausse neige recouvrait le sol près du sapin pour compenser le manque de la vraie. Mes pieds glissèrent dessus et la soupe tenue entre mes bras se renversa en plusieurs flaques sur le sol. Ses longs bras n'avaient pas été là pour me retenir. Une flopée de jurons franchit mes lèvres et le son radieux du rire de ma mère résonna de la cuisine ouverte.

- Quel beau langage ! Tu sembles particulièrement de mauvaise humeur depuis que tu es arrivée. J'espère que tu seras plus agréable ce soir, sinon nous devrons te faire boire pour te tirer les vers du nez.

- Oui oui, grommelai-je au bord de l'effondrement.

Je m'éclipsai le plus rapidement possible dans ma chambre, la moindre contrariété faisant craquer mes nerfs en ce moment. Des larmes perlèrent au coin de mes yeux étirés, que j'essuyai avant même qu'elles n'aient le temps de s'écouler. Je jetai mon attelle à l'autre extrémité de la pièce et m'allongeai à même le sol. Un manque me tiraillait le ventre, un manque que je n'arrivais pas à satisfaire. Ses taquineries provocantes, sa voix lisant un poème, ses cheveux balayant son dos puissant. Il me manquait - plus que je n'aurais voulu l'admettre -. C'est la sonnette qui m'obligea à refaire face. Avant de descendre, je testai de faux sourires dans le miroir tous plus ridicules les uns que les autres. Je pinçai mes joues pour donner un teint moins pâle à ma peau ; mais je faisais toujours peine à voir.

Un copieux repas où la bonne humeur régnait aux sons des rires et éclats de voix rythmait la soirée dont j'étais spectatrice. Je sentais les oeillades inquiètes que ma mère me lançaient. Le dernier moment arriva enfin peu de temps après minuit. Le papier crissait avant de se déchirer sous les doigts experts des enfants alors que les adultes prenaient soin de soulever chaque pans de scotch. Mon père me tendit un petit écrin en cuir blanc que je soulevai délicatement. En son intérieur, une paire de boucles d'oreilles reposait sur le velours noir. Plus précisément, deux émeraudes en forme de goutte, si familières et à la fois inconnues. Je les pris entre mes doigts pour mieux les observer, elles étaient resplendissantes. La fierté que mes parents arborait, avec leur cadeau, me fit ressentir un vrai sentiment de bonheur pour la première fois depuis mon accident. Et c'était cela mon vrai cadeau de Noël à mes yeux.

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