Chapitre 19 - Corrigé

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La beauté du hall occupa temporairement mes idées, l'escalier en velours rouge contrastait avec le marbre blanc des rampes. Il partait de part et d'autre de la pièce au plafond haut sculpté. Chaque voûte était agrémentée d'un lustre doré pour magnifier le tout, éclairant les petits balcons au passage. En haut de la première marche, de chaque côté d'un chandelier, attendaient les jumeaux. Celui qui avait sa main tournée vers moi portait un ensemble crème en accord avec sa perruque ; l'autre revêtait un costume bleu nuit accentuant les reflets de sa chevelure corbeau. Je saisis les doigts de Thomas non sans lancer un regard au Vicomte qui fuyait le mien. Ma robe glissait sur les marches que je gravissais. J'étais une comtesse le temps d'un instant, mais pas au bras de celui que je voulais.

- Dites-moi Monsieur le Comte, n'avez vous point envie de voir d'autres terres que celles du royaume de France ? Demandai-je telle une conspiratrice à mon voisin de gauche.

- Bien sûr que non ! Quelle drôle d'idée.

Le personnel poussa un premier battant vers le fumoir. La pièce était cloîtrée et ne disposait que de canapés collés contre le mur. Pourtant, il était beau par le choix du bois et de la moquette qui fondait sous nos pas. Aussitôt une sonnerie retentit indiquant le début du spectacle. Nous franchîmes rapidement la deuxième porte qui menait à notre loge et je ne pus empêcher un petit cri de franchir mes lèvres. Face à moi s'étendait une salle emplie de monde paré des plus beaux vêtements de Paris. Un dôme surplombait la salle d'une fresque angélique avant d'englober la scène en deux grosses colonnes. L'orchestre était déjà installé et n'attendait que l'ouverture de l'immense rideau bordeaux maintenu par des cordes à frange. Une main me poussa très furtivement vers un fauteuil comme si mon contact était insupportable. Son propriétaire prit place à ma droite refusant toujours de me regarder.

- C'est magnifique, je ne saurais comment vous remercier monsieur le comte ! Mais Thomas n'était plus à mes côtés. Il avait tout bonnement disparu.

- Vous vous extasiez comme si vous voyiez un opéra pour la première fois...

- Effectivement, c'est une première pour moi.

Je relevai le menton le défiant de se moquer de cette révélation. Il n'en fit rien fixant la scène dans un désintérêt feint. La cloche retentit de nouveau et la lumière se tamisa autour de nous. Les premières notes de musique furent aiguës et les poils de ma nuque se redressèrent d'excitation face à ce spectacle. J'avançai afin de poser mes mains sur la rambarde, fascinée par les danseurs qui arrivaient un à un. Le bruit de leurs chaussons claquait sur le sol, mon regard ne cessait de virevolter sur chaque nouvelle pirouette. Je sentais le vicomte observer mes réactions, son visage légèrement tourné vers le mien. Lorsque je voulu chercher ses yeux des miens, il se détourna. Je mordis l'intérieur de ma joue de frustration.

- Pourquoi avoir fermé le rideau de sa loge ? Les occupants ne verront rien du spectacle... 

- Vous êtes si innocente.

Lui même surpris par la douceur de sa voix, il racla sa gorge pour se redonner de la contenance. Il souffla en appuyant sa joue sur son poing.

- Les occupants de cette loge n'ont que faire du ballet si vous voyiez ce que je sous-entends, murmura Daniel.

Ma curiosité me poussait à fixer le rideau fermé de la loge parallèle à la notre.

- Si vous saviez qui était dedans et ce qu'il y faisait, vous ne regarderiez plus cette loge ainsi...

- Qui est donc dedans? Voulus-je savoir.

- Une personne qui nous a volontairement amenés ici pour mieux nous laisser, maugréa-t-il.

Je profitais du fait qu'il m'adressait la parole pour le titiller comme au bon vieux temps.

- Don Juan semble plutôt bien les... inspirer, susurrai-je tout bas le dernier mot.

Il se crispa et trouva enfin mon regard dans la pénombre. Son visage était fiévreux et il s'approcha dangereusement avant de s'arrêter à quelques centimètres.

- Vous me déconcentrez et j'aime ce ballet, je vous prie de cesser vos babillages.

Il tenta de se concentrer sur la danse qui se jouait plus bas mais ses gigotements trahissaient son inconfort. Je ne pus contenir une autre raillerie plus longtemps.

- La musique vous inspire-t-elle, vous aussi ? Vous ne cessez de vous trémousser et cela m'empêche de me focaliser sur les danseurs.

- Oh, sachez que je n'ai jamais été autant inspiré qu'en votre présence ! Malheureusement pour mon bien être... grogna-t-il la tête tournée vers le plafond.

- Je suis navrée de faire naître autant de contradiction en vous.

Ses pupilles avaient engloutit la tempête de ses iris et rendaient son air encore plus ténébreux lorsqu'il me scrutât abruptement.

- Vous êtes une menteuse, je le vois sur votre visage.

Je me penchai de nouveau vers la balustrade pour respirer plus correctement. Mon genou rencontra le sien créant une douce chaleur le long de ma cuisse. Déconcertée, je voulus le piquer de la mauvaise façon.

- Vous savez percer mes secrets finalement.

- Ce n'est pas un jeu Elisabeth ! Rugit-il.

Daniel posa sa main sur mon genou pour le repousser, mais ma respiration eut un loupé qu'il entendît. Il glissa lentement un doigt le long de celui-ci. Mon corps était brûlant de fièvre, l'intimité étouffante de cette loge décuplant toutes les sensations. Il replaça une mèche de cheveux derrière mon oreille pour mieux y glisser ses quelques mots.

- Je suis mauvais perdant, ne tentez donc pas le diable ou vous vous brulerez les ailes.

Ses lèvres légèrement entre ouvertes me donnaient envie de les goûter. Ses cheveux brossés me donnaient envie de plonger férocement mes doigts dedans. Et c'est ce que j'aurais fait si Thomas n'était pas revenu à ce moment là. Au même moment, la loge d'en face ouvrit ses rideaux. La magie s'envola. Le vicomte sortit si rapidement que je ne constatais le froid qui s'emparait de l'endroit qu'à la suite d'un frisson. Le soir même, en écrivant mon rapport, je ne cessais d'y repenser. Ce doux moment où sa paume s'était aventurée pour la première fois sur mon corps, m'inspirant moi aussi.

***

Alors que je passais devant le bureau d'Edgar dont la porte était ouverte, la voix de Céline retentit en écho dans le couloir.

- C'est fascinant ! Je n'avais jamais vu un ADN modifier sa structure et s'adapter ainsi...

Je m'arrêtai, le carnet serré contre ma poitrine, et me plaquai contre le mur pour assouvir ma curiosité.

- Comment est-ce possible? Nous contrôlons les moindres détails afin qu'ils y aient le moins d'impact possible sur le corps.

- Je dois avouer que je ne sais pas. Je dois faire des analyses plus poussées. Les molécules s'adaptent aux maux d'un autre temps... C'est révolutionnaire ! Sa maniabilité est inédite...

La porte claqua bruyamment me faisant sursauter au point d'en faire tomber mes rapports. Je ramassai mon cahier et fuis vers l'extérieur pour retrouver Jean-Baptiste.

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