Extases et Tourments

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Et ce fut bientôt la culbute amoureuse. Non pas ces parties de jambes en l'air dans le Kâma-Sûtra, mais l'étreinte farouche où l'on sert les jambes, de peur que le désir ne se dérobe de traves les cuisses sans pantalons. Et ce fut bientôt, le moment des flammes attisées, le moment où l'on s'agrippe sur l'autre, trop envahie et paralysé par la tension entre les cuisses pour penser à quoique ce soit d'autre, ce plaisir fou et sauvage qui se traduit par des Soupirs. Et ce bientôt, sans plus tarder, l'instant des pulsions troublées, l'instant où l'on parvient à peine à contenir le souffle, où l'on gémit de cet amour jamais inassouvis, qu'on peine à soutenir avec tant d'effort et d'ardeurs. Et ce fut bientôt, l'instant où l'on ferme les yeux, l'instant où l'on vogue à la découverte de l'extase, où l'on se complaint dans la nudité et s'abandonne à l'autre.

Avec des gestes rapides et précis, nous nous dévêtîmes. Nos vêtements volèrent dans l'air vicié de ce Soir de printemps. Et bientôt nous fumes mi-nus, mi-vêtus, offert l'un à l'autre, dans l'ombre d'un silence absolu. J'entendais déjà de discrets gémissements de plaisir. Je vis ses yeux grands ouverts, emplis de luxures et de désirs, elle, prête à s'abandonner complètement à l'instant présent. Et alors que nous ne songions guère aux Soupirs, je sentis des mains passer et repasser: je sentis ses mains épouser les muscles de mon thorax, glissant tout en douceur jusqu'en deçà et dessous mon abdomen. Et je sentis mes mains courir le long des ses rondeurs aguichantes, jusqu'au creux sensuel que forment les hanches. Et je sentis mes mains baladeuses autour de l'oasis du reste de son corps désert: une cité vierge qui reste encore inviolée !

Mes doigts frôlent, rodent autour, chatouille ! Et bientôt elle sert les cuisses, Soupirs après Soupirs.

Et ce fut ainsi, l'envie nous prenait tellement à la gorge, qu'au bout de plusieurs minutes alors que nous ne songions qu'à nous synchroniser, je la sentais entièrement détendue.

Je l'embrassais de par ma bouche, de par tout le corps, de ces baisers qui font se fermer les yeux... je déposais de muets et interminables baisers depuis son cou, jusqu'à son bas ventre; lorsque tout à coup je ne la sentais plus remuer.

Elle semblait trempée dans un océan de désirs et repue d'amour.

Je continuais néanmoins, cherchant à exaspérer ses facultés amoureuses, elle demeurait coite. Je cru qu'elle était lasse de moi, déjà. C'est alors qu'il m'est venu une folle idée de la doigter. Je lui chatouillais les cuisses, et elle restait immobile, inerte, on eut dire une personne dans le coma depuis bientôt des années...

Je me relevais brusquement, comme expulser du lit : je la parlais, et point de réponse. Je la tapotais aux joues, et zéro réaction. Ses yeux, étaient largement ouvertes, la tête pendante et à la merci des mouvements que je la faisais subir. Elle était morte !

Si c'est une blague, sache que c'est de très mauvais gout, la disais-je.

Mais il n'y avait que l'écho de ma voix pour me répondre. Et je connu l'état piteux de ceux qu'on appelle communément fous furieux. Je soliloquais par ci, gambadais par là, je me hâtais à gauche et pensais à droite.

«Il faut se débarrasser du corps !»,

mais il fallut être criminel par l'esprit et même par le cœur pour le faire.

«Il faut appeler les urgences !»,

ç'aurait été trop tard, pas de moyens pour la sauver.

«Et la police? Oui, la police ! Non, pas question !»

Je ne saurai pas expliquer comment elle s'est retrouvée toute morte et toute nue sur mon lit. Et puis :

«UNE FEMME DECEDEE EN PLEIN EBAT AVEC SON AMANT»,

ferait une belle affiche à la une des journaux, avec ma photo, moi, tout nu et aussi gauche que ridicule.

La peur me saisit par les jambes et le poids de mon corps, pourtant léger, devint un fardeau pour mes genoux et je m'écroulais sur mes talons. J'ai entendu mon cœur vaciller et j'ai vu de nouveau ma foi se dérober : je te jure, c'est vrai !

Je me suis efforcé de trainer jusqu'au seuil de la porte. Je m'agrippais contre le loquet, me relevais. J'ouvris avec peine, les mains soudainement fébriles, où, dans le clair de lune, le regard flou et brumeux, je m'affalais de nouveau sur les ustensiles de thé qu'on m'avait délaissé juste au-devant de ma porte. Puis, le bruit assourdissant qui s'en dégagea fit approcher Monsieur F, mon ancien prof de français.
Monsieur F était fort élancé, pas mince pour un Homme de sa taille qui avoisine les 190 cm, mais il paraissait plutôt d'une silhouette à ravir. Il avait l'apparence nonchalante, mais sa vigueur (et je sais de quoi je parle) était colossale. Par contre, ce qui demeurait fascinant chez cette Homme, c'était son sang-froid irréprochable. Ce qui le dotait d'une drôle d'intelligence d'au regard malice mais plein de bonté.
Monsieur F avait la manie de me dire «Tocard !»... et ça me laissait indifférent, du moins, ça m'amusait de l'entendre parler sur ce ton. Mon plus grand plaisir c'était de l'entendre dire :
«Tu me prends pour ton clown, tocard !»
Il était d'un humour noir, et moi, je me plaisais à l'écouter me raller. D'abord parce qu'il me faisait rire, ensuite j'avais beau d'être un tocard, j'avais beau d'être tordu, il ne me jugeait point. Il avait foi en ma bonne foi disait-il. Et enfin, parce que je pouvais lui parler librement en tout et sur tout. Comme quand je lui contais mes nouvelles conquêtes à la con et qu'il en demeurait épater. Puis, quand au bout du conte je pâmais de rire, il rétorquait :
«Tocard, c'est encore une de tes salades !»
Pourtant, il était toujours prêt à écouter mes salades. Et «C'est parce que tes histoires à la con sont insensées qu'elles regorgent de sens.», estimait monsieur F.

Mais à la longue elles restent toutes aussi mesquines que futiles. C'est le danger d'être vu comme un éternel comique. On ne vous prend jamais au sérieux. Et ce fut le cas ce Soir-là.

•Qu'est ce qui t'arrive ? Qu'est ce qui...qui se passe par ici ?

Je m'adossais contre le mur, indexa la porte de la chambre, et tout ce que je me souviens avoir dit, c'était :
Elle est morte !

Soupirs d'un SoirWhere stories live. Discover now